Cameroun : 40 ans après le coup d’État manqué, l’illusion d’un retour à la normale

 6 avril 1984 – 6 avril 2024 : cela fait 40 ans jours pour jours que le régime de Biya est passé à côté d’un coup d’État. S’il a pu se maintenir au pouvoir pendant les quatre dernières décennies, le spectre d’un coup de force qui mettrait fin à son pouvoir plane toujours. En cause, la mal gouvernance, les détournements, la vie chère, les injustices et surtout 40 longues années de pouvoir sans partage.

Le coup d’État manqué du 6 avril 1984 au Cameroun n’est plus qu’un souvenir lointain, tant la génération des principaux acteurs est en train de s’en aller. Les quelques-uns qui restent encore en vie se souviennent encore de quelques épisodes de cette tentative de renversement du pouvoir de Paul Biya qui a couté la vie à plus de 500 personnes selon des sources indépendantes. « Je travaillais au secrétariat d’Etat à la Défense. Ce matin du 6 avril, je m’apprêtais à sortir comme d’habitude, un collègue qui habitait non loin de chez moi est venu me signaler que la guerre a éclaté et que nous devons trouver le moyen pour rejoindre le camp. Il fallait surtout éviter de sortir avec un indice qui montrait qu’on était des gendarmes. Nous sommes sortis en civil et sans carte d’identité nationale ou professionnelle. Nous avons été obligés d’emprunter des chemins tortueux pour rejoindre le camp. Une fois au camp, on a trouvé que le commandant de notre compagnie venait d’être tué. Nous sommes entrés dans la danse, il fallait défendre les institutions. On a abandonné nos familles pendant plus d’une semaine, on ne savait pas ce qui se passait à la maison. Mais quelques jours plus tard, tout est revenu à la normale. Des centaines de personnes sont mortes des deux côtés. Chez les putschistes et au sein de la garde républicaine », témoigne Albert Ndi, un acteur des événements.

40 ans de pouvoir sans partage

Si les armes ont imposé une alternance dans plusieurs pays africains, au Cameroun Paul Biya a gouverné pendant plus de 40 ans sans partage. Pourtant, et son règne n’a pas été un long fleuve tranquille.  18 mois après son accession à la magistrature suprême, Paul Biya est victime d’un coup d’État.  Après cette tentative, Paul Biya qui avait promis lors de son investiture de renforcer les bases économiques, sociales et culturelles et de travailler pour l’avènement d’un État de droit a abandonné son serment. Avec la coalition dirigeante et l’appui de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (RDPC), il a plutôt développé des mécanismes pour se cramponner au pouvoir, en mettant en place « une cosmétique politique et institutionnelle aux allures démocratiques visant à dissimuler sa coloration autoritaire ». Résultat de course, son parti a dominé haut la main, malgré les fraudes à répétition, ses adversaires politiques lors des différents processus électoraux (1992, 1997, 2004, 2011 et 2018). Non Sans avoir réprimé violemment au passage les mouvements d’humeur des années 1990 et de 2008.

Chasser Biya du pouvoir

Malgré cette répression, l’idée de renverser Paul Biya du pouvoir n’est pas sortie de l’esprit de plusieurs. Avec l’avènement des réseaux sociaux, elle est devenue l’ordinaire du badinage sur smartphone. Sur Facebook, le célèbre écrivain camerounais, naturalisé américain Patrice Nganang a inventé le concept de « chassement » de Paul Biya, seul moyen – selon lui – de mettre fin au long règne de Paul Biya, aussi, de faire barrage à l’obstination d’un président qui refuse de dialoguer avec les anglophones, auxquels l’armée livre une guerre meurtrière dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Au sein de la diaspora, la Brigade Anti Sardinard (BAS), un mouvement hostile au régime de Yaoundé, né lors des élections de 2018, n’est pas revenue sur son projet « Paul Biya must go ».  L’actualité politique au Gabon voisin, qui a vu le renversement du pouvoir d’Ali Bongo par une junte militaire, est revenue aiguiser les appétits au Cameroun, au point où des opposants jugés républicains comme Cabral Libii ont même pris position en faveur de certains types de coups d’État. « La condamnation des changements inconstitutionnels de gouvernements qui figure dans tous les textes onusiens et africains, porte principalement sur les coups d’État perpétrés dans le seul but de renverser un ordre constitutionnel et de s’y substituer en rompant la dynamique démocratique.  Mais à la vérité, si le jeu politique et démocratique est corrompu et vicié à un point que la stabilité et la paix s’en trouvent irrémédiablement menacées, n’est-il pas judicieux que ceux qui ont la charge d’assurer justement la sécurité et la paix, s’ingèrent et imposent une parenthèse transitionnelle pour essayer de remettre les choses dans le bon ordre démocratique ? Le coup d’Etat transitionnel est, de mon point de vue, plutôt une innovation militaire salutaire. Tant qu’effectivement il ne s’agit que d’une transition à la Jerry Rawlings au Ghana. », avait écrit l’ancien candidat à l’élection présidentielle.

2024, pire qu’en 1984

L’histoire enseignée à la jeune génération par certains idéologues dont le but est de blanchir le régime de Biya rapporte que le coup d’État manqué du 6 avril 1984 n’avait pour but que de ramener le président Ahidjo au pouvoir. Pourtant, bien d’autres raisons avaient été avancées par les Putschistes. Entre autres, la mal-gouvernance, les détournements. Les putschistes reprochaient notamment à Paul Biya d’avoir dilapidé les fonds de souveraineté laissés par son prédécesseur. 40 ans après, la situation a empiré.

Les détournements se portent plus bien que jamais. Lors de la session parlementaire de novembre 2023, les chiffres évoqués par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute devant les parlementaires faisaient froid au dos. Dion Nguete expliquait qu’à l’issue des sessions tenues par le Conseil de discipline budgétaire et Financière, les décisions ont permis d’établir un montant total de préjudice subi par l’Etat de l’ordre de 12 milliards 814 millions 456 mille 866 Francs CFA. Dans la même veine, on a enregistré l’enrôlement au Tribunal Criminel Spécial de 59 affaires, dont les décisions ont abouti à des condamnations pécuniaires prononcées au profit de l’Etat et de ses démembrements, pour un montant cumulé de 26 milliards 482 millions 324 mille 929 francs CFA, au 30 septembre 2023.

Dans la même période, le total des sommes versées au Trésor public, au titre de restitution du corps du délit, dans les procédures suivies devant le Tribunal Criminel Spécial, s’élevait à 9 milliards 637 millions 136 mille 717 francs CFA.

A côté des détournements, Paul Biya, usé par 40 ans de pouvoir et par son âge avancé, a fini par abandonner l’État entre les mains des factions proches du pouvoir qui se livrent désormais une guerre à ciel ouvert mettant en péril l’intérêt supérieur de la nation.

Entre temps le sang coule dans les deux régions anglophones depuis 2017. Presque chaque semaine, on voit des images de citoyens camerounais des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest brutalisés ou tués par les forces de l’ordre dans des conditions atroces. À côté, des bandes armées criminelles dictent leur loi et forcent les populations civiles à fuir.

Dans le septentrion, aux intrusions de la secte islamique Boko Haram, sont venus s’ajouter les enlèvements avec demande de rançons perpétrés par des groupes armés.

En plus de tous ces dégâts dont l’étendue ne se mesure plus, la vie chère, le manque d’eau et d’électricité et un chômage à outrance sont en train d’amenuiser le brin de vie qui reste aux Camerounais. Et plus que par le passé, la possibilité d’un départ forcé de Biya du pouvoir se dessine.

Mimi Mefo Info – Coup d’etat

Joseph Essama

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