Cameroon

La retraite, un concept fantôme dans une administration sclérosée

Alors que le ministre des Finances Louis Paul Motazé ordonne l’éviction des retraités et « intrus » de son ministère, une question persiste : pourquoi faut-il encore, en 2025, rappeler à des fonctionnaires qu’à 60 ans, leur place n’est plus dans un bureau ? Derrière cette circulaire, c’est tout un système malade qui se révèle. Une administration camerounaise où le départ à la retraite reste une exception, et l’accroche au pouvoir, la règle.

« Toutes affaires cessantes, veuillez libérer les personnels mentionnés. » La formule, aussi ferme soit-elle dans la circulaire du 15 mai 2025, sonne comme un vœu pieux. Car au Cameroun, la retraite administrative est un mythe. Le ministre des Finances a beau brandir des textes vieux de dix ans et s’indigner de la présence d’« intrus » dans les services, l’histoire se répète : les vieux dirigeants ne lâchent rien, et l’administration, lentement, s’enlise dans cette culture du « je reste ».

Prenez la présidence de la République. Paul Biya, 92 ans, toujours en place après 43 ans de règne, et veut encore briguer un nouveau mandat. À l’Assemblée nationale, le doyen Cavaye Yeguié Djibril, 85 ans, n’entend pas céder le fauteuil, malgré la fatigue physique. Et au Sénat, Marcel Niat Njifenji, 90 ans, n’est visible au Cameroun qu’après un an, au moment de l’élection du président du sénat. Sans manquer de mentionner “le père de la police” Martin Mbarga Nguele âgé de 92 ans, qui est toujours aux affaires, malgré que le corps de la police peine à fournir ne serait-ce que les cartes nationales d’identité aux camerounais. Comment, dans un tel contexte, s’étonner que le simple directeur des impôts ou le contrôleur du Trésor refuse, lui aussi, de partir ?

Pour l’universitaire Viviane Ondoua Biwolé, cette longévité des directeurs généraux à la direction des sociétés d’Etat « réside dans l’absence de plan de carrière des acteurs sociaux des entités publiques ». C’est ce qu’elle explique dans une tribune libre rendue publique intitulée « Violation de la durée des mandats des dirigeants des entités publiques camerounaises : au-delà du juridisme ».

La mentalité est profonde : au Cameroun, quitter le pouvoir, c’est disparaître. Pas question de céder son fauteuil, son influence, ou soyons francs, ses avantages. « Ici, un poste administratif n’est pas une fonction, c’est une propriété », ironise un ancien cadre d’administration, lui-même parti deux ans après l’âge légal.

Les conséquences sont lourdes :

  • Blocage des jeunes cadres, condamnés à attendre des décennies une promotion.
  • Innovation paralysée : les méthodes de gestion datent souvent de l’ère pré-numérique.
  • Dérives financières facilitées par ces réseaux opaques où cohabitent retraités officiels et « conseillers » fantômes.

Louis Paul Motazé le sait : sa circulaire ne changera rien sans une vraie purge. Car derrière chaque retraité recalcitrant, il y a un parrainage politique. « Comment voulez-vous qu’un DG ose virer le vieux chef de service quand ce dernier est le cousin d’un ministre, où est membre du comité central du RDPC? » souffle un analyste politique.

L’administration, miroir d’un pays bloqué

Le problème dépasse le Minfi. Dans les hôpitaux publics, des médecins de 70 ans occupent encore des postes-clés. Dans de nombreuses sociétés étatiques, certains cadres dirigeants ont largement dépassé l’âge de la retraite. Même les universités sont touchées, avec des professeurs qui monopolisent chaires et budgets bien après leur départ théorique.

La faute à qui ?

  1. À l’État, qui ne sanctionne jamais les abus.
  2. Aux intéressés, pour qui vieillir au pouvoir est un privilège.
  3. À la société, qui continue de vénérer la « sagesse des anciens »… même quand elle coûte cher.

« On a créé une génération de fonctionnaires qui croient que leur expérience les rend indispensables », déplore un jeune économiste. « Résultat : le pays est géré comme dans les années 80. »

Le ministre peut multiplier les notes de service, le vrai pouvoir est ailleurs. Jusqu’à quand les élites camerounaises continueront-elles de confondre administration et gérontocratie ? La réponse est dans les faits : tant que les plus hautes sphères montreront l’exemple du « jusqu’au-boutisme », les petits chefs imiteront.

En 2025, la circulaire du Minfi ressemble à un coup d’épée dans l’eau. Pour que les choses changent, il faudra plus qu’un rappel à l’ordre : un électrochoc culturel. Et pourquoi pas un changement total de l’administration au Cameroun.

Gilles Noubissi

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