Alors que la loi leur interdit d’exercer d’autres activités privées lucratives dans une entreprise ou dans un secteur soumis à leur contrôle, plusieurs fonctionnaires continuent de livrer les marchés publics en toute illégalité.
Le décret du 12 octobre 2000 portant statut général de la Fonction publique de l’État est clair. Dans son article 37, « il est interdit à tout fonctionnaire régi par le présent statut d’avoir, dans une entreprise ou dans un secteur soumis à son contrôle direct ou en relation avec lui (…), d’exercer, à titre personnel, une activité privée lucrative, sauf dérogation spéciale par un texte. Cette interdiction ne s’applique pas à la production rurale, à la production d’œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques, aux enseignements donnés à titre complémentaire ou de vacataire ». Le texte poursuit en ajoutant que « lorsque le conjoint exerce à titre professionnel une activité privée lucrative, déclaration doit en être faite par le fonctionnaire au ministre dont il relève. L’administration prend, s’il y a lieu, les mesures propres à sauvegarder les intérêts du service ».
Malgré cette interdiction, plus 203 fonctionnaires et agents de l’État continuent de livrer les marchés publics. Selon le lanceurs Remi Tassing qui publie une liste de ces fonctionnaires, sur le réseau X. On apprend qu’il s’agit des agents publics propriétaires ou appartenant à des structures qui gagnent des marchés publics.
Selon la liste publiée , on apprend encore que ces agents de l’État appartiennent principalement aux ministères : de l’Éducation de base, la communication, des enseignements secondaires, du commerce, de la santé publique, des finances, de la justice, des marchés publics, de l’administration territoriale, de la Défense, etc. Plusieurs d’entre eux, sont membres de la Mutuelle nationale des personnels des impôts (Mundi), et certains sont employés dans des structures publiques, à l’instar de l’Institut de recherches agricoles pour le développement ou encore du Conseil national de la communication.
« J’ai découvert ce problème quelque temps après la publication de la liste des bénéficiaires des fonds COVID, explique le lanceur d’alerte cité par nos confrères de SBBC . Il y avait une dame ; en recherchant son nom, je suis tombé sur la page des membres du Mundi et c’était une fonctionnaire du ministère des Finances ». Le lanceur d’alerte révèle également qu« au début, c’étaient plus les maires ou des députés qui s’octroyaient des marchés publics. Mais visiblement, ceux de la fonction publique sont encore plus nombreux. »
Préjudice aux acteurs privés
Selon le professeur Viviane Ondoua Biwole, enseignante de droit à l’université de Yaoundé II et spécialiste de la gouvernance publique, cette situation a des conséquences sur les activités des entreprises privées. « Cette intrusion des fonctionnaires crée une distorsion au niveau du marché et pourrait entraîner l’éjection des acteurs privés qui sont censés faire de la commande publique leur activité principale ». Ondoa Biwole pense qu’« il est prévu que la commande publique puisse favoriser l’émergence d’une classe d’hommes d’affaires crédibles. Donc la commande publique est considérée comme un outil qui permet d’améliorer la qualité du secteur privé. »
« Les fonctionnaires ont le droit d’exercer trois types d’activités, qu’elles soient dans le privé, la société civile ou dans le public, explique le professeur Ondoua Biwole. Il s’agit essentiellement des activités intellectuelles. Les fonctionnaires peuvent effectivement, dans le cadre de la commande publique, travailler dans le domaine des études, des conférences, des formations, toutes les activités qui peuvent être considérées comme des activités intellectuelles. Le deuxième secteur est celui de l’immobilier, mais pas le BTP. Et le troisième secteur est l’agriculture. Les fonctionnaires ne peuvent donc s’impliquer dans les BTP et le commerce au sens de la vente au détail. »
Détournements
Le fait que les agents publics se retrouvent dans le circuit des marchés publics a pour principale conséquence, les détournements de fonds publics. Selon les données officielles, entre 2016 et 2028, les détournements ont généré 489,6 milliards FCFA de flux financiers, indique l’Agence nationale de l’investigation financière (Anif) qui vient de produire un rapport sur le sujet.
Dans le détail, l’Anif estime que les flux financiers générés par le détournement des deniers publics sont de 438,86 milliards de FCFA en 2018 ; 5,19 milliards en 2017 et 45,57 milliards en 2016. Pour blanchir l’argent détourné du Trésor public, révèle l’Anif, certains se lancent dans l’immobilier, la vente des automobiles et d’autres dans la création des quincailleries, les salles de jeux de hasard, les casinos, les fondations et autres organisations caritatives.
Pour l’Agence, les détournements de fonds constituent ainsi une menace « moyennement élevée » et dont la tendance est en augmentation, si on y ajoute les crimes contre les marchés publics, dont la législation (code des marchés publics) assimile les actes incriminés comme étant constitutifs d’atteinte à la fortune publique.