Les nids-de-poule ont fini par avoir raison de la patience des automobilistes. Devant l’hémicycle, Célestine Ketcha Courtès, ministre de l’Habitat et du Développement urbain, a lâché un chiffre qui résume l’ampleur du défi : 130 milliards de FCFA. C’est le montant minimal nécessaire pour réhabiliter les voiries urbaines camerounaises, selon ses déclarations il y a quelques jours devant les députés. Un aveu d’urgence, dans un pays où les routes se fissurent au rythme des frustrations citoyennes.
La scène avait des airs de déjà-vu. Comme en 2022, lorsque le ministère réclamait 13 milliards pour les villes et n’en obtenait que 2, l’État semble pris en étau entre les besoins criants et l’austérité budgétaire. « Avec les 6,7 milliards de 2024, nous avons tenu un pari impossible : refaire 10 km de voies à Yaoundé », a reconnu la ministre, sous les interpellations d’élus exaspérés.
Mais derrière ces chiffres en trompe-l’œil se cache un serpent de mer administratif. Le fameux « blocage » évoqué par Ketcha Courtès renvoie à une circulaire gouvernementale sur les cautionnements, gelant depuis 2023 les appels d’offres avec la Caisse des dépôts. « Sans ces lourdeurs, Yaoundé serait déjà un chantier géant », a-t-elle insisté, promettant un déblocage « prioritaire » sous l’impulsion présidentielle.
Dans les quartiers populaires de Douala, la réalité mord le bitume. « Ici, on répare les trous avec des sacs de sable et des prières », ironise Didier, chauffeur de taxi-moto à Bonabéri. Son constat rejoint celui des experts : seulement 12 % des routes urbaines sont considérées en bon état, selon un rapport interne du MINHDU.
Pourtant, des solutions existent. Le Projet de développement de villes inclusives et résilientes (PDVIR), financé à hauteur de 200 milliards FCFA par la Banque mondiale et l’UE, pourrait être une bouée. Mais sur le terrain, les engins se font rares. « Les fonds sont là, mais les procédures tuent l’urgence », tempête un cadre de la coopération européenne sous couvert d’anonymat.
L’autre angle mort du dossier ? La crise des déchets, qui accélère la dégradation des chaussées. À Yaoundé, les caniveaux obstrués transforment chaque saison des pluies en cauchemar d’érosion. « On nous demande de magie avec des budgets de misère », peste un maire d’arrondissement, montrant des photos de rues transformées en ravines.
Le ministère mise sur un effet domino : débloquer les 130 milliards permettrait de relancer l’emploi local (30 000 postes directs selon ses estimations) tout en désengorgeant les villes. Un scénario idéal… mais encore faut-il convaincre les partenaires. « Le chef de l’État négocie en personne des prêts concessionnels », assure une source à la présidence.
En attendant les pelleteuses sur les voiries urbaines, les Camerounais tricotent des solutions. Comme à Bafoussam, où des riverains ont créé une « tontine routière » pour colmater les brèches. Preuve que face à l’État en panne de bitume, la société civile redessine elle-même les routes… de la résilience.
GN