Le spectre de 2008 plane sur le Cameroun. 16 ans après les émeutes de la faim qui ont secoué le pays, la situation socio-économique s’est considérablement détériorée, laissant craindre une nouvelle explosion sociale.
Il y a exactement 16 ans, des centaines de jeunes, manifestant contre le coût de la vie, ont perdu la vie lors de violentes manifestations déclenchées le 23 février 2008 suite à l’augmentation des prix du carburant. Plus de 15 ans après, la situation s’est détériorée, et on redoute que le pire ne se produise.
Le prix du carburant a augmenté de manière exponentielle, atteignant plus de 800 FCFA le litre, tandis que les salaires stagnent. Le coût de la vie est devenu insupportable pour la plupart des Camerounais, qui doivent faire face à la faim, à la misère et au chômage.
Assis sur sa moto au carrefour Nsam, dans le troisième arrondissement de Yaoundé, Bindzi, qui compte une vingtaine d’années d’expérience en tant que conducteur de moto, se souvient encore de 2008 comme si c’était hier. « J’ai vécu cette semaine horrible, nous avons perdu plusieurs jeunes ici dans le quartier, et des dizaines d’autres ont été arrêtés. » Malheureusement, aujourd’hui, on a l’impression que la situation est devenue bien grave. En 2008, le litre d’essence coûtait environ 500 FCFA, aujourd’hui nous sommes à plus de 800 FCFA et les clients paient toujours 100 FCFA. « C’est regrettable, mais on va faire comment », se désole-t-il.
170 morts selon certaines sources
En février 2008, le Cameroun faisait la une des médias internationaux. La vie chère, l’augmentation du prix du carburant et le projet de modification de la constitution ont poussé les jeunes dans les rues. Une semaine de manifestations, avec des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre dans les grandes villes du pays, a entraîné des dégâts inestimables. Selon le bilan officiel annoncé le 5 mars 2008 par Jean Pierre Biyiti Bi Essam, le ministre camerounais de la communication, il y aurait eu 24 morts, dont un policier, et plus de 1 500 interpellations de certains manifestants considérés comme des leaders dans le quartier de Briqueterie à Yaoundé, la capitale politique. Des sources contradictoires, dont RFI, avaient dressé un premier bilan de 170 morts le 27 février 2008. L’ONG camerounaise « La Maison des droits de l’homme », proche de l’opposition, avait évoqué plus de cent morts tout en reconnaissant ne pas être capable d’évaluer précisément le bilan en vies humaines.
Le spectre de nouvelles émeutes plane
Deux élections présidentielles sont passées depuis, chacune avec son lot de promesses pour le peuple. 15 ans plus tard, la situation s’est-elle améliorée ? Selon plusieurs avis, la réponse est négative. Au contraire, les ingrédients de nouvelles émeutes sont plutôt cristallisés. Vie chère, famine, insécurité, chômage, corruption sont devenus le quotidien des Camerounais.
Pour Joseph Taffo, juriste et communicant du MRC, « entre 2008 et aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé, mais plutôt en pire. Ceux qui manifestaient en cette année-là sur la cherté de la vie étaient loin de s’imaginer que, rendu à aujourd’hui, l’inflation devait plutôt galoper, ou plutôt le coût de la vie deviendrait plutôt insupportable au regard de ce que nous subissons avec les hausses des prix et les salaires qui ne suivent pas », pense-t-il.
Le journaliste Florentin Ndatewouo, directeur de publication du journal Legal 237 spécialisé dans les questions judiciaires, dresse un état alarmant de la situation 15 ans plus tard.
« En cette année 2024, la question se pose une fois de plus avec acuité. On a assisté tout récemment à une nouvelle augmentation du prix du carburant à la pompe. Avec l’effet d’entraînement, cette augmentation a modifié à la hausse le tarif du transport. L’augmentation du prix du carburant vient ainsi salée l’addition. Les ménages avaient déjà maille à partir avec les coûts croissants des produits de première nécessité. À titre d’exemple, le kilogramme de farine a doublé, passant de 300 FCFA à 600 FCFA. Le prix des denrées alimentaires telles que le riz, le lait, le beurre, l’huile raffinée est revu à la hausse. Cette augmentation du coût des denrées alimentaires se produit dans un contexte où les besoins se font de plus en plus croissants, mais paradoxalement, le pouvoir d’achat demeure statique dans le meilleur des cas. Il faut dire qu’avec l’avènement du coronavirus, de nombreux Camerounais ont perdu leur emploi ».
Pour lui, il faut craindre de nouvelles émeutes. « Le contexte est donc favorable à un climat de tensions, des tensions susceptibles d’être exacerbées en raison de la mauvaise gouvernance, avec à la clé, la prédation de la fortune publique, dont certains en ont fait l’activité principale », a-t-il indiqué joint au téléphone par MMIF.
Risque de répression
Joseph Taffo, qui croit également que de nouveaux soulèvements sont possibles, craint quant à lui la répression qui pourrait s’ensuivre. « Quant à savoir s’il peut y avoir un autre soulèvement pareil, il faut dire que même si on ne le souhaite pas vraiment au regard de la répression qui va suivre, puisqu’on est dans un État répressif qui ne lésine sur aucun moyen pour utiliser la violence. Il faut aussi noter qu’entre-temps, les Camerounais sont devenus très résilients et même amorphes à la limite. Chacun souffrant atrocement dans son for intérieur mais préfère s’en remettre visiblement à la providence pour espérer voir les choses. Ajouté au climat de terreur instauré depuis lors par le gouvernement où toutes velléités de contestation, de dénonciation ou de langage discordant sont soit réprimées avec violence soit envoyées en prison ou au pire des cas, tuées » conclut-il.
À ces maux sociaux, il faut ajouter les aléas de fin de régime qui pourraient exacerber les tensions et provoquer de nouvelles violences. Quel que soit l’angle par lequel on voit la chose, 15 ans après les émeutes de février 2008, le Cameroun est plutôt devenu une bombe à retardement.
Le spectre de la violence est omniprésent. La répression des manifestations est systématique et les Camerounais vivent dans un climat de peur.
Le gouvernement semble incapable de répondre aux aspirations du peuple. La corruption gangrène le pays et les Camerounais ont perdu confiance en leurs dirigeants.
Le spectre de 2008 est plus que jamais présent. La question n’est pas de savoir si de nouvelles émeutes auront lieu, mais quand.