Directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme, Cyrille Rolande Bechon revient sur la visite de Volker Turk, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme au Cameroun. Et se projette sur les espoirs qu’augurent cette visite en matière des droits de l’Homme au Cameroun.
Les défenseurs des droits de l’homme au Cameroun ont eu une réunion intense avec le Haut-Commissaire de l’Onu aux droits de l’homme, sur quoi a porté cette réunion?
La réunion avec le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme a porté sur la situation des droits humains au Cameroun. Nous avons fait l’Etat des lieux de la situation des droits humains de manière globale. Concrètement nous avons parlé de la fermeture de l’espace civique et démocratique au Cameroun où les libertés fondamentales ne peuvent plus s’exprimer ; Des violences basées sur le genre dans lesquelles, les filles et les femmes sont victimes et n’ont pas accès à la justice ; Nous avons parlé de la question foncière avec son lot de déguerpissement forcé ; La désappropriation des communautés au profit des individus ; Nous avons évoqué la crise qui continue de faire des victimes dans les deux régions anglophones ; Les massacres orchestrés par des groupes armés et bien entendu la difficulté des populations à vivre dans ces conditions ; Le fait que les populations sont prises en otage par les groupes armés et les violations orchestrées par les force de sécurité.
La situation sécuritaire dans les régions septentrionales, les prochaines élections, les abus des autorités administratives ont-ils été évoquées dans vos échanges ?
On n’a pas oublié la situation dans les régions septentrionales du pays avec la présence de Boko Haram et l’influence que cette situation sécuritaire a sur le quotidien des populations avec le flux des déplacés internes de part et d’autre. L’attente des processus électoraux a été un autre point fort de nos échanges. Nous n’avons pas caché nos craintes sur le fait qu’il y a un total désaccord de la classe politique au sujet des règles qui organisent le processus électoral, notamment le Code électoral. Nous avons dénoncé les tensions entretenues par l’autorité administrative avec cette fermeture de l’espace civique et démocratique dans un contexte où les acteurs sociaux politiques ne peuvent pas s’exprimer. Nous avons déploré le fait qu’il n’existe pas de dialogue. Le dialogue fait partie des préoccupations centrales des Nations unies. La paix se prépare avant les élections. Ce n’est pas après les élections quand les crises commencent qu’on découvre les problèmes. Les défenseurs des droits de l’homme ont partagé leurs préoccupations et leurs craintes sur le fait qu’on a élu une personne dont le dernier mandat nous laisse des doutes sur sa capacité à diriger ce pays.
Qu’en a-t-il été de la situation des personnes détenues dans le cadre des manifestations pacifiques ?
La question des personnes qui sont toujours détenues a également surgit dans les discussions. Les détentions arbitraires qui faisaient partie des recommandations des mécanismes onusiens à l’Etat camerounais. Rappelez-vous qu’il y a un appel des mécanismes onusiens qui demandait à l’Eta du Cameroun de relaxer les personnes arbitrairement arrêtées lors des manifestations de 2020. Il fallait en parler avec le Haut-commissaire pour qu’il puisse poser toutes ces questions aux autorités.
Avez-vous évoquez la situation de l’examen périodique universel ?
Tout à fait. Le Cameroun a été examiné par les Nations unies en 2023, le Cameroun a donc accepté un ensemble de recommandations visant à améliorer la situation des droits humains. Il était question de demander au Haut-commissaire, comment il compte accompagner l’Etat du Cameroun et la société civile pour qu’il y ait cette amélioration. Nous avons fait une sorte d’évaluation, parce qu’en 2018, Michèle Bachelet l’ancienne haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme avait fait une visite au Cameroun et le constat a été unanime : les choses n’ont pas changé. Nous avons fait part de ce que le Cameroun est membre des Nations unies, mais n’est pas en train d’implémenter les améliorations attendues au niveau des droits humains. Autres questions comme la gouvernance locale, les menaces sur la cohésion sociale au niveau local du fait des bavures de la police municipale, n’ont pas été oubliées.
Le Haut- Commissaire de l’Onu aux droits de l’homme arrive au Cameroun dans un contexte où les droits de l’homme sont de plus en plus bafoués par les autorités camerounaises. Quel espoir peut susciter sa présence au Cameroun?
La présence au Cameroun, du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme suscite de l’espoir. Le travail des Nations Unies s’inscrit dans une démarche préventive en matière des droits humains et dans un travail préventif pour maintenir les relations et le dialogue, ce qui est très important pour les Nations unies. En maintenant le dialogue, les Nations Unies ont un boulevard et un cadre pour que les sujets soient sur la table des discussions. Et c’est d’ailleurs pour cela que le Haut-commissaire lui-même vient. Il est comme un porte-voix qui vient renforcer un plaidoyer parce qu’il sait qu’au Cameroun il y a un problème. Un haut-commissaire ne vient pas en ballade dans un pays. Dans le cadre de son travail il est là pour déceler les pays où les risques sont élevés en matière de violation, en matière de crise. Comme je vous ai dit la règle première des Nations unies c’est de prévenir les conflits et les crises. Donc il vient à la fois pour prévenir et résoudre les conflits qui existent déjà.
Que faut-il faire concrètement pour finalement contraindre les autorités camerounaises à respecter leurs engagements internationaux en matière des droits de l’homme ?
Pour amener les autorités camerounaises à respecter leurs engagements en matière des droits humains, il faut continuer ce plaidoyer. Il faut que tous les acteurs de la communauté nationale comme internationale s’intéressent à la question du Cameroun et utilisent tous les mécanismes viables pour interpeller les autorités.
Je crois que cela est en marche. Un Haut-commissaire c’est un diplomate, il ne viendra pas vous dire qu’il va mettre la pression sur les autorités. Sa seule présence au Cameroun est un message fort en terme de préoccupations des droits humains dans ce pays.
Dans nos rapports nous interpellons aussi les partenaires étatiques du Cameroun qui ont des leviers d’actions dans leurs relations bilatérales et au niveau des Nations unies. Il y a également les journalistes, la presse nationale et internationale qui doit porter haut le message sur les droits humains au Cameroun. Il n’y a que cet ensemble de communication, plaidoyer, de lobbying et d’informations sur ce qui se passe effectivement. Il y a aussi un nombre d’actions menées sur le terrain par les défenseurs pour conscientiser les communautés. Il est très important que les Camerounais puissent connaitre quels sont leurs droits.
Cette visite du Haut-Commissaire est un acte fort que la communauté internationale pose en validant qu’un Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme viennent au Cameroun. Il faut que les Nations unies continuent à tenir la barre haute pour amener le Cameroun à respecter ses engagements.
Interview réalisée par Joseph Essama