Le président de la République s’est exprimé le 31 dernier dans le cadre son traditionnel discours à la nation.
Dans son exposé, Paul Biya a usé de plusieurs contre-vérités pour justifier les options prises par son gouvernement. MMF fait le point sur ces affirmations trompeuses. « Les mesures de soutien à la consommation, mises en œuvre par le Gouvernement, ont permis de maîtriser l’inflation et de la stabiliser à environ 6,7% », a déclaré Paul Biya dès l’entame de son discours. Un aveu qui tranche avec la réalité. Selon la note sur l’évolution des prix à la consommation finale des ménages au Cameroun en novembre 2023, publiée par l’Institut national de la statistique (INS), en moyenne sur les douze derniers mois, le taux d’inflation s’élève à 7,5% . Un indicateur qui représente plus du double de la limite du seuil de 3% fixé par la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, RCA et Guinée équatoriale) dans son dispositif de surveillance multilatérale. Selon le document, les taux d’inflation au Cameroun restent supérieurs à 7% dans 9 des 10 régions du pays, avec le plus élevé enregistré à Bertoua (Est), soit 8,9 %. Bamenda, la capitale régionale du Nord-Ouest, affiche le taux le plus bas avec 6,1%, mais celui-ci est également au-dessus de la norme communautaire.
Concernant la subvention consacrée au produit pétrolier en 20022, Paul Biya a donné des chiffres en déphasage avec ceux du ministère des finances. « L’année dernière, le Gouvernement a été amené à procéder à un léger relèvement des prix des carburants à la pompe. Grâce à cette mesure, la subvention des produits pétroliers, qui était de plus de 1000 milliards de Francs CFA en 2022, a été réduite à environ 640 milliards de Francs CFA en 2023 », indiqué le chef de l’Etat dans son discours. Un chiffre de 1000 milliards méconnu des services du ministère des Finances. Selon le directeur général du budget au ministère des Finances, Cyrille Edou Alo’o, la subvention de la consommation des carburants (super, du gasoil et du pétrole lampant) au cours de l’année 2022 a représenté près de 700 milliards de FCFA . Le chef de l’État a multiplié les contre-vérités et autres approximations pour justifier les options choisies. « Vous devez savoir que dans le but de maintenir les prix à la pompe à leur niveau actuel, qui est largement inférieur à celui pratiqué dans les pays voisins, l’Etat doit, au prix d’importants efforts financiers, fortement subventionner les importations de produits pétroliers », a encore déclaré Paul Biya. Une affirmation totalement fausse.En dehors de la République centrafricaine (RCA) où le prix de l’essence est passé, depuis le 3 janvier 2023, à 1300 FCFA, celui du pétrole à 1150 FCFA et celui du gasoil à 1450 FCFA.
Les autres pays de la sous-région pratiquent des prix inferieures à ceux du Cameroun. En République Démocratique du Congo, le prix du litre d’essence à la pompe est passé de 595 FCFA à 625 FCFA et celui du gasoil de 475 FCFA à 500 FCFA. Au Gabon, avant la baisse des prix des produits pétroliers annoncée par le général Oligui Nguema dans son discours à la nation, le litre de super est fixé à 605 FCFA, celui du gasoil à 585 FCFA et le pétrole à 450 FCFA. En Guinée Equatoriale, le litre de super est fixé à 570 FCFA. Tandis qu’au Tchad, le prix d’un litre d’essence à la pompe est revenu à 518 FCFA au lieu de 570 FCFA alors que le gasoil se vend désormais à 548 FCFA. Pourtant au Cameroun, le litre de super est passé à 730 FCFA en 2023. Le litre de gasoil, quant à lui, est passé à 720 FCFA contre 575 FCFA. Et le litre du pétrole lampant, majoritairement consommé par les couches sociales défavorisées est restée stable à 350 FCFA le litre.
Paul Biya a également omis de dire la vérité quant à la question des dépenses publiques. « La mise en œuvre des différents projets devant permettre de répondre aux aspirations de nos populations se heurte à une contrainte majeure. Celle de l’insuffisance des ressources financières nécessaires. C’est la raison pour laquelle je n’ai de cesse de prescrire au Gouvernement la rationalisation des dépenses publiques, de même que la recherche des voies et moyens supplémentaires d’accroitre les ressources publiques. S’agissant de la réduction des dépenses publiques, j’ai fermement réitéré au Gouvernement mes instructions antérieures visant à réduire les dépenses de fonctionnement », a affirmé Paul Biya.
Constat fait, dans la loi de finances 2024, le gouvernement a tablé sur une enveloppe budgétaire équilibrée en recettes et dépenses à 6 740,1 milliards de FCFA, en hausse de 13,2 milliards de FCFA (0,2%) par rapport à l’exercice 2023. Le budget d’investissement public (BIP) est projeté à 1 652 milliards de FCFA au cours de l’année 2024, représentant 31,6% de l’enveloppe budgétaire globale du pays. L’on y trouve les dépenses pour le traitement des personnels de l’État qui va engloutir 1 428,3 milliards de FCFA, contre 1 003,3 milliards de FCFA pour l’achat des biens et services en 2024. Un budget de fonctionnement qui au lieu d’être revu à la baisse, a plutôt été revu à la hausse. En 2023, les dépenses de personnel s’élevaient à 1 257,7 milliards de FCFA, tandis que celle des dépenses des biens et services se chiffrent à 1075,8 milliards de FCFA.
Au sujet de la grève des enseignants Paul Biya a affirmé qu’« en dehors des nombreuses mesures de divers ordres qui ont été prises par les administrations concernées, plus de 72 milliards de francs CFA ont été débloqués en 2023 pour prendre en charge les dépenses y afférentes. Une provision complémentaire de 102 milliards de francs CFA a également été constituée dans le budget de l’Etat, au titre de l’exercice 2024, afin d’apurer les dépenses résiduelles », a-t-il confié avant de brandir des représailles aux enseignants grévistes. Déni et mensonge, puisque les principales revendications des enseignants, notamment le statut spécial n’ont jamais été abordées. En plus le président a n’a pas mentionné que l’enveloppe de 72 milliards qui a été débloquée en 2023 a été gérée par les circuits de corruption. Car les réels enseignants qui mènent la grève n’ont pas bénéficié de cette enveloppe.
Coté sécuritaire, les organisations de défense des droits de l’homme sont unanimes que la situation sécuritaire dans les régions anglophones a connu un regain de tensions ces derniers mois. « Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) dans son dernier rapport de situation affirme que 38,5% des établissements scolaires sont ne sont pas opérationnels à cause de menaces des séparatistes ». Mais Paul Biya croit voir une situation qui s’amélioré. « Grâce à la collaboration active des populations avec nos forces de défense et de sécurité, la situation dans les Régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de l’Extrême-Nord s’est significativement améliorée », a-t-on écouté à la télévision nationale.
Enfin Paul Biya a fait une affirmation contraire à la réalité du terrain. « Environ 44 mille panneaux solaires, couvrant 40% des besoins en électricité dans nos trois Régions septentrionales, ont été installés », a affirmé le président pour se vanter des efforts de son gouvernement. Sur le terrain, la réalité est marrante. Car si quelques panneaux solaires ont été construits, les trois régions du septentrion ont connu au cours de l’année 2023, le pic des délestages d’après les témoignages des populations.