Sainte écritures: quand Jésus fustigeait l’ordre politique – De vives critiques fusent à travers le pays alors que certains évêques de l’Église catholique romaine du Cameroun viennent de formuler de violentes remontrances contre le président de la République Paul Biya. En réaction, certains estiment que l’Église est laïque et ne devrait pas s’intéresser à la politique. Une opinion en porte à faux avec le vécu de plusieurs personnages dans les saintes écritures. Du prophète Nathan, jusqu’à l’apôtre Paul, en passant par Jésus, plusieurs grandes figures de la bible n’ont jamais été tendre envers les régimes politiques.
Trois évêques de l’Église catholique romaine du Cameroun se sont publiquement démarqués de la politique du président Biya à l’orée de la nouvelle année. Dans une homélie qu’il prononçait à l’occasion de la nouvelle année, Monseigneur Barthélemy Yaouda Hourgo, évêque de Yagoua, dans l’Extrême-nord du Cameroun a estimé qu’il est temps que le règne de Biya prenne fin. « On ne va pas souffrir plus que ça encore. On a déjà souffert. Le pire ne viendra pas. Même le Diable qu’il prenne d’abord le pouvoir au Cameroun et on verra après », a-t-il soutenu.
Monseigneur Barthélemy emboitait le pas à son homologue, Samuel Kleda, archevêque métropolitain de Douala, qui avait déjà jugé irréaliste une énième candidature de Paul Biya. « Cela n’est pas réaliste […] Nous sommes des êtres humains. À un moment donné nous quittons ce monde, nous ne pouvons pas faire des miracles », avait soutenu Samuel Kleda, parlant d’une nouvelle candidature de Paul Biya.
Mgr Emmanuel Abbo, Évêque de N’Gaoundéré à son tour s’est offusqué des mauvaises conditions de vie des Camerounais. « Comment est- il possible que l’appel désespéré des camerounais ne poussent pas les responsables de ce pays à mettre fin aux souffrances des camerounais ? Et la plus grande des souffrances est qu’on interdit aux camerounais d’exprimer leurs souffrances », a-t-il déploré.
Ces sorties des évêques qui interviennent alors que Paul Biya 92 ans s’apprête à briguer un autre mandat, lors de la prochaine élection, n’ont pas laissé les alliés de Paul Biya indifférents. Jean De Dieu Momo, le ministre délégué à la justice a rappelé le principe de laïcité. « Il convient de rappeler que notre République est fondée sur les principes de laïcité, qui établissent un contrat implicite mais fondamental entre l’État et l’Église. Ce contrat repose sur un équilibre : l’État ne s’immisce pas dans les affaires religieuses, et l’Église s’abstient de se mêler directement de la politique. Cet équilibre garantit une cohabitation pacifique et respectueuse entre les sphères spirituelle et temporelle, dans le respect des convictions de chaque citoyen ».
Jésus défie les autorités politiques et religieuses
Cette sortie de Jean De Dieu Momo qui évoque la laïcité qui est en elle-même une notion politique, est pourtant en porte à faux avec le vécu de plusieurs personnages centraux dans la bible. Jésus Fils de Dieu et Sauveur de l’humanité selon la théologie chrétienne a lui-même défié les autorités politiques et religieuses.
Dans l’évangile de Mathieu au chapitre 23, Jésus dénonce des pharisiens et des scribes en condamnant publiquement l’hypocrisie et la corruption des leaders religieux qui exploitent leur autorité pour un gain personnel, une critique qui a des implications politiques dans le contexte de la Judée au premier siècle.
Au cours de son ministère Jésus s’est prononcé sur des questions politiques comme le paiement de l’impôt. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Cette réponse remet subtilement en question l’autorité absolue des dirigeants politiques en affirmant l’allégeance ultime à Dieu.
Le Fils de Dieu a vertement dénoncé la collaboration entre les leaders religieux et les systèmes économiques qui exploitent les pauvres, en chassant les changeurs et les marchands du temple. Sans manquer de les accusant d’en avoir fait une « caverne de voleurs » (Matthieu 21:12-13, Marc 11:15-17, Luc 19:45-46, Jean 2:13-17).
Devant le redoutable Ponce Pilate, magistrat d’un ordre suprême et qui avait le droit de vie et de mort sur lui, Jésus déclare : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » (Jean 18:33-37). Une déclaration souligne la dimension politique de sa mission, présentant le royaume de Dieu comme une alternative aux structures de pouvoir terrestres.
Jean-Baptiste critique Hérode Antipas
Quelques temps avant la venue de Jésus, son prédécesseur Jean Baptiste s’était également confronté aux autorités politiques. Il avait notamment critiqué Hérode Antipas, le dirigeant de Galilée et de Pérée Hérode pour avoir pris la femme de son frère, ce qui conduit à son emprisonnement et à son exécution. Ses remontrances envers ce puissant dirigeant politique sont un exemple évident de critique prophétique.
Désobéissance civile et résistance politique
Quelques temps après la mort de Jésus, ses disciples fidèles à la mission qui leur avait confiée commence à enseigner la bonne nouvelle. Excédés de voir Pierre et Jean enseigner le peuple en annonçant la résurrection du Christ, les Sadducéens leur intiment l’ordre d’arrêter de prêcher sur Jésus (Actes 4:18-20). Les apôtres défient les ordres du conseil juif, en affirmant qu’« il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Cela reflète une forme de désobéissance civile face à une autorité injuste.
A son tour, l’apôtre Paul qui fait face à l’injustice, ne manque pas de rappeler ses droits de citoyen romain lorsqu’il est battu et emprisonné illégalement. Il expose la corruption et l’injustice des autorités locales (Actes 16:35-40, Actes 22:25-29).
Ancien testament
Les critiques contre l’ordre politique sont inséparables avec l’histoire de la Bible. Depuis l’ancien testament plusieurs prophètes avaient déjà été virulents envers les rois. L’auteur du livre des Proverbes lance un appel à plaider pour la justice : « Ouvre ta bouche en faveur de celui qui ne peut parler, pour la cause de tous les délaissés » 31:8-9.
Après l’adultère du Roi David avec Bethsabée et l’assassinat orchestré d’Urie, le prophète Nathan le confronte avec une parabole qui met en lumière son péché (2 Samuel 12:1-14).
Dans le livre 1 Rois, aux chapitres 18:16-19 et 21, le prophète Élie fustige le roi Achab et la reine Jézabel pour leur idolâtrie et leur corruption, notamment dans l’histoire de la vigne de Naboth. Le prophète Élie les critiques vertement pour avoir abusé de leur pouvoir afin de voler les terres de Naboth et d’orchestrer sa mort.
Le prophète Amos s’était également élevé contre les élites riches d’Israël qui oppriment les pauvres et pervertissent la justice dans les tribunaux. Son message est profondément politique, car il critique les inégalités systémiques et la corruption (Amos 5:10-15).
A son tour le prophète Jérémie s’adressant au roi Joïaqim, condamnait son exploitation des ouvriers pour construire un palais somptueux tout en ignorant la justice et les besoins des opprimés (Jérémie 22:13-17).
Le prophète Michée s’était aussi montré très critique envers les dirigeants politiques et religieux corrompus qui « construisent Sion avec des meurtres », sans maquer d’avertir sur les conséquences de leur corruption (Michée 3:9-12).
Le prophète Ésaïe avait appelé à la justice : « Apprenez à faire le bien, recherchez la justice. Secourez l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. » Ésaïe 1:17.
Pour le père Théophile, prêtre d’une congrégation missionnaire qui a requis l’anonymat, « les sorties des évêques sont à apprécier. Elles sont le signe que la conscience ecclésiale n’est pas endormie ».