Le chef de l’État évite depuis des dizaines d’années, de mettre en application des articles de la constitution qui pourraient se retourner contre lui. Une analyse de Dr Aristide MONO.
“Le président de la République partira finalement sans mettre en application de nombreuses dispositions cruciales de la Constitution. Combien d’années lui aura t-il fallu pour mettre complètement en exécution tout ce qui est dit dans la Constitution ? Personne ne le sait. 1996-2022, plus de 25 ans après, la mise en application de la Constitution reste incomplète.
Que nous manque-t-il ? Pour reprendre l’une des interrogations historiques du président de la République lui-même. Avec Paul Biya il faut donc finalement attendre la fin du monde pour voir certains de ses engagements tenus. Déjà 26 ans de longue attente. Aux États-Unis pourtant lorsque vous avez la malchance comme Donald Trump de ne pas doubler de mandat, vous n’avez que 4 ans pour matérialiser vos innovations.
De ce fait, il faut faire vite. Très vite d’ailleurs. Pareil en France il faut courir derrière le temps; parce que comme François Hollande ou Sarkozy, vous n’avez que 5 ans. Mais chez nous, même après 40 ans on continue de clamer qu’on n’a pas encore épuisé notre stock d’impatience. On parle toujours de progressivité de progressivement. Parmi les dispositions de la Constitution en souffrance dans les bureaux de la progressivité éternelle et éternitaire, nous avons les articles 53 et l’article 66.
Des articles qui de notre point de vue, font peur au Président. Il les redoute. Voilà pourquoi il refuse de les appliquer depuis 26 ans aujourd’hui. Et à l’allure où vont les choses, ils risquent ne jamais être appliqués.Le premier de ces articles qui font peur au président, c’est-à-dire l’article 53 prévoit et encadre les poursuites judiciaires contre le président de la République.
C’est cet article, qui dit pourquoi et comment le président peut être jugé, condamné ou séjourner dans des prisons infestés. Ces prisons dans lesquelles il envoie régulièrement ses adversaires politiques, sans état d’âme. Cet article créé le tribunal qui doit juger le président chez nous: la Haute Cour de justice qui justement a cette compétence pour juger les actes accomplis par un président dans l’exercice de ses fonctions. Mais le président de la République a toujours apparemment eu peur de cet article. On est tenté de croire qu’il refuse de créer la Haute Cour de justice, parce qu’il a peur d’être un jour poursuivi et goûter aussi à la prison.
Il est dans la théorie du danger. Il refuse de doter le pays, des instruments qui peuvent lui caler au cou un de ces jours. Le deuxième de ces articles qui font peur au président, à savoir l’article 66, prévoit la déclaration de ses biens et avoirs, au début et à la fin des mandats du Président. C’est-à-dire que le président doit nous dire tout ce qu’il a comme biens, argent voitures, maisons investissements de sorte qu’après chacun de ces mandats on sache qu’elle est l’excédent de sa fortune.
C’est un article qui prévoit la transparence. Comme avec l’article 53 qui prévoit la création des conditions de jugement du Président, on est tenté de conclure que le président a aussi peur de l’article 66. Peur que l’on sache ce qu’il a comme fortune. Peur que les Camerounais découvrent son rythme d’enrichissement par mandat. C’est lui qui devrait pourtant jouer la carte de la transparence, mais il est malheureusement le premier opaque de son équipe.
Ce qui fait justement les affaires de ses collaborateurs, qui continuent de jouer au chat et à la souris avec l’argent des Camerounais, en s’enrichissant sauvagement; saouls d’argent et de fortune comme des abeilles. Le parachèvement de la mise en œuvre de la Constitution concernerait donc uniquement les articles qui mettent complètement le président hors de toute inquiétude. Les articles spectateurs de la marche du pays, contemplent impuissamment les dérives managériales du sommet de l’État.
Le président refuse de donner le pouvoir et les moyens. Sûrement parce qu’il aurait peur que le travail de ces articles ne commence par lui-même.Dr Aristide MONO, Analyste politique, universitaire.