Si quelques suspects ont été mis aux arrêts dans le cadre de l’enquête ouverte dans le cadre de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, un an après la macabre découverte de sa dépouille, la justice peine à designer les commanditaires, tandis que l’opinion publique note une implication du politique.
Un an déjà qu’on a plus entendu la voix perçante de Martinez Zogo, chef de chaine d’Amplitide FM et animateur de l’émission à succès « Embouteillage ». Alors que les conducteurs de taxi de la ville de Yaoundé y faisaient quotidiennement leur miel, le journaliste a été arrachée brusquement à la vie. « Son absence est remarquable. Tous ceux qui entraient dans mon taxi à partir de 10 heures savaient que je ne pouvais pas passer une journée sans écouter Martinez Zogo. Son émission créait un choc dans les idées et on avait toujours envie de l’écouter. Je prie pour le repos de son âme », a indiqué Olivier Ondigui un conducteur de taxi.
Une enquête au ralenti
Seulement, douze mois après la découverte de son corps, l’enquête marque le pas sur place. Plusieurs suspects, dont Jean-Pierre Amougou Belinga, président directeur général du Groupe l’Anecdote, Maxime Eko Eko l’ancien directeur de la Direction générale de la recherche extérieur (Dgre), Justin Danwe l’ancien directeur des opérations de la Dgre, Martin Savom le maire de Bibey, ainsi qu’une dizaine d’éléments du service de contre-espionnage camerounais, et des commissaires de police, ont été arrêtés. Mais plusieurs zones d’ombres persistent au moment où l’hypothèse d’un deuxième commando semble de plus en plus se dessiner au sein de l’opinion. Qui a ordonné l’assassinat de Martinez Zogo ? Et qui a tué Martinez Zogo, puisque selon les accusations de la justice, Jean Pierre-Amougou Belinga et Maxime Eko Eko ne sont que des complices de tortures, et qu’aucun des éléments n’a été inculpé pour meurtre ?
En plus de marquer le pas sur place, la justice militaire chargée de l’affaire commence à susciter de la méfiance auprès de l’opinion. Tenez dans une lettre publiée en décembre dernier, Maître Hakim, l’un des avocats de la famille de Martinez Zogo fait appel à la préservation de l’impartialité de l’institution judiciaire, soulignant que la promiscuité et les privilèges accordés aux inculpés remettent en question l’équité du traitement réservé à chacun.
Sur le feu de l’action, tâtonnements, décisions, contre décisions, rebondissements et rétropédalages s’entrechoquent. De février 2023 à janvier 2024, la même affaire a connu trois juges d’instruction. Prosper Oyono Ebessa, le premier juge d’instruction sur la liste est celui qui avait inculpé les suspects en retenant le motif de “torture et complicité de torture par aide ” contre Jean Pierre Amougou Belinga. Dessaisi du dossier, il a été remplacé par le juge d’instruction militaire Sikati Kamwo II. Ses neufs mois à la tête de cette enquête, rappellent la vraie fausse ordonnance de libération de Eko Eko et Amougou Belinga. Authentique selon plusieurs sources, cette ordonnance a été déclarée fausse le même jour, après dit-on des pressions au sein de l’appareil de l’Etat. Pourtant les avocats des parties continuent d’affirmer qu’ils avaient bien reçu des documents liés à cette libération avortée de leurs clients. Le 18 décembre 2023, le colonel Ndzie Pierrot Narcisse a pris officiellement la direction de cette enquête. Des sources expliquent que certains volets de l’enquête ont été repris à zéro par le nouveau juge d’instruction, il faut s’attendre à ce qu’elle dure encore plusieurs mois.
Plus d’une année de deuil
Si l’effervescence de la disparition de Martinez Zogo qui a suscité une avalanche de colère sur les réseaux sociaux s’est estompée, dans le cœur de ses proches, la blessure ouverte depuis plus d’une année n’arrête pas de saigner. « Nous sommes dans le deuil depuis plus de 12 mois en attendant qu’on nous remette la dépouille. Nous voulons au moins lui assurer une sépulture digne, même si le combat va continuer sur d’autres terrain », affirme un de ses proches.
Mais pour certains observateurs, il sera très difficile que la famille procède à l’enterrement tant que l’enquête est encore en cours. « Je ne pense pas que l’enterrement c’est pour bientôt. La dépouille est un élément de preuve. Donc les familles vont supporter jusqu’à la fin de l’information judiciaire », a expliqué un avocat. En mars dernier, les avocats de Jean Pierre Amougou Belinga expliquaient que l’enterrement de la victime pourrait occulter certaines preuves. Du fait qu’il a été dit que dans certains médias, que Jean Pierre Amougou Belinga avait assisté à la torture de Martinez Zogo à l’immeuble Ekang et lui avait asséné un coup à la tête. Ils demandaient ainsi à la justice de « prendre des actes qui concourent à la vérification des » qui accablent leurs clients.
Rivalités maffieuses
La mort de Martinez Zogo a permis de comprendre définitivement que le Cameroun est désormais largué dans une lutte de clan interminable. Le déroulement de l’enquête dans le cadre de cette affaire a d’autant plus montré que ceux qui rêvent de prendre le pouvoir après Paul Biya sont désormais prêts à présider aux destinées du Cameroun quelques soient les moyens. Cette rivalité maffieuse a malheureusement terni l’image de la justice. Car il est désormais évident que chaque clan avec la complicité de certains médias aux ordres, tire les ficelles de la justice. « C’est avec l’affaire Martinez Zogo qu’on voit pour la première fois les deux bandes rivales dont parle souvent l’opinion s’affronter. Il est désormais évident que dans cette affaire il n’y aura pas de solidarité criminelle, mais que la justice sera dite en fonction du bon vouloir du camp qui tient les rênes », explique Martial Bisso journaliste.
Sacré Martinez Zogo
C’est en effet après les quelques déboires rencontrés par Jean Pierre Amougou Belinga avec le fisc que Martinez entre en possession d’un certain nombre de documents liés aux largesses financières octroyées à Amougou Belinga à travers les chapitres budgétaires 94, 65 et 57. Ces chapitres sont dédiés aux dépenses publiques. Le chroniqueur de l’émission « Embouteillage » en fait son leitmotiv. Il organise plusieurs émissions où il dénonce avec véhémence l’octroi de plusieurs dizaines de milliards à un seul individu. Et surtout le fait que ce dernier ne payait pas les impôts. « Allez-vous laisser votre pays mourir ? Allez-vous laisser les caisses de l’État braquer par des bandits ? Non mes frères réveillez-vous. L’heure est grave… Zomloa (pseudonyme de Amougou Belinga) mebimekoup (les excréments)! Tu vas payer les impôts dans ce pays et tu vas nous expliquer comment tu as fait pour avoir autant d’argent », avait déclaré Martinez Zogo la dernière fois le 17 janvier 2023 avant son enlèvement. Cette fameuse nuit, alors qu’il rentrait chez lui, il a été enlevé, torturé puis assassiné de la manière la plus barbare selon le rapport d’autopsie. Son corps mutilé est découvert le 22 janvier 2023 à Ebogo 3, une banlieue de Soa à quelques kilomètres de Yaoundé.