Cameroun: l’État doit revenir à la raison – Vie chère, pression fiscale, harcèlement quotidien, insécurité, manque d’eau et d’électricité, chômage endémique, le citoyen camerounais étouffe, tandis que l’État continue de rouler carrosse.
Au centre des impôts de Yaoundé III, une longue file d’attente menace de barrer la route. D’un coté de cette bâtisse peinte en rose, une cinquantaine de personnes écoutent religieusement un agent des impôts qui tente d’expliquer un procédé incompréhensible pour certains.
Un peu plus en arrière de l’édifice, trois vieillards de la soixantaine se concertent. Un d’entre eux est particulièrement remonté. Il vient de dépenser 30.000 FCFA pour faire sa déclaration de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. « A la suite du communiqué du ministre des Finances, Louis-Paul Motaze, annonçant que les contribuables non professionnels n’ayant pas encore déclaré et payé leur impôt sur le revenu des personnes physiques ont jusqu’au 9 décembre 2024, pour régulariser leur situation fiscale, on m’a expliqué que si ce délai passe, je ne pourrais pas toucher mon salaire le mois prochain. J’arrive ici, un jeune que j’ai rencontré m’a pris jusqu’à 30 mille FCFA pour me faire cette déclaration », raconte-t-il à ses « amis d’infortune ».
Comme ce retraité, plusieurs citoyens disent avoir été rançonnés par des agents des impôts. Et malgré ces dénonciations, la hiérarchie n’a pas fait grand-chose pour les Camerounais soient épargnés de la boulimie de ces fonctionnaires véreux.
L’Etat garde son train de vie princier
Cette exigence qui passent auprès de certains citoyens comme du harcèlement fiscal, arrive alors que le gouvernement vient de faire voter un budget inique à l’Assemblée nationale. Malgré les appels à la rationalisation des dépenses de l’État formulés par le président de la République, les prévisions budgétaires de 2025 montrent clairement que l’Etat va continuer à mener un train de vie princier.
Dans le projet de loi de finances 2025, voté par les députés la semaine dernière, les « achats de services » connaissent une augmentation de près de 50 milliards de FCFA, passant de 487,8 milliards de FCFA en 2024 à 536,5 milliards de FCFA en 2025.
Les factures d’eau, d’électricité et d’autres sources d’énergie vont engloutir une enveloppe de 74,7 milliards de FCFA en 2025, contre 71,3 milliards de FCFA pour le budget précèdent.Les frais de transport et de mission quant à eux sont projetés à 70,8 milliards de FCFA en 2025, contre 67,3 milliards de FCFA en 2024, soit une hausse de 3,5 milliards de FCFA.
Fait aggravant, le gouvernement entend dépenser pratiquement deux fois plus d’argent pour la « communication et les relations publiques », que pour la formation de son personnel. En effet, les dépenses de communication-relations publiques sont projetées à la hausse à 63,4 milliards de FCFA en 2025 (contre 60,9 milliards de FCFA en 2024), alors qu’une allocation de 35,2 milliards de FCFA (contre 31,7 milliards en 2024) est annoncée pour les « frais de formation du personnel ». Ce budget est en totale contradiction avec le discours officiel qui prône la rationalisation des dépenses publiques. « La mise en œuvre des différents projets devant permettre de répondre aux aspirations de nos populations se heurte à une contrainte majeure. Celle de l’insuffisance des ressources financières nécessaires. C’est la raison pour laquelle je n’ai de cesse de prescrire au Gouvernement la rationalisation des dépenses publiques. S’agissant de la réduction des dépenses publiques, j’ai fermement réitéré au Gouvernement mes instructions antérieures visant à réduire les dépenses de fonctionnement », martelait Paul Biya dans son discours à la nation le 31 décembre 2023.
Harcèlement fiscal et inflation en vue
Si le gouvernement a revu à la hausse ses dépenses de fonctionnement, c’est qu’il compte financer son budget par une sur taxation accrue du contribuable et des petites entreprises, qui restent dans le secteur formel. Tenez par exemple, en 2025, les droits de timbre pour les voyageurs à destination des pays hors Cemac seront fixés entre 40 000 et 300 000 FCFA par personne, pour les classes économie et première classe. Mais avant que le harcèlement fiscal de 2025 n’entre en jeu, des millions de Camerounais ont déjà eu l’avant-gout avec la déclaration de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Selon l’économiste Louis Marie Kakdeu, la charge fiscale pour les petites entreprises sera encore plus étouffante en 2025. Car l’’État va continuer à « surtaxer le chiffre d’affaires (57%) au lieu de taxer le bénéfice comme le recommande le principe de proportionnalité. Continuant ainsi d’asphyxier le peu de contribuables qui restent dans le formel », dénonce l’economiste.
Je m’en foutisme managérial
Ce qui inquiète le plus est que les milliers de milliards qui seront récoltés dans le cadre du budget 2025 n’auront pas un impact significatif sur la vie des Camerounais. Les problèmes d’eau et d’électricité seront toujours le lot quotidien des millions de Camerounais, malgré l’achèvement de plusieurs projets énergétiques. L’inflation qui sera revue à la hausse en 2025 et l’insécurité risque d’atteindre son point culminant malgré les ressources affectées à la police et l’armée. Les axes routiers vont continuer à enregistrer les accidents mortels et les autorités administratives, ainsi que les autres fonctionnaires chargés d’assurer le service public n’arrêteront pas de brimer les pauvres citoyens.
Au-delà des citoyens qui doivent s’engager pour exiger des comptes aux gestionnaires de la fortune publique, l’État lui-même doit d’abord prendre conscience et retrouver la raison avant qu’il ne soit trop tard.