Englués dans des actes présumés de corruption, abus de pouvoir, faux et usage de faux, insuffisance professionnelle, les magistrats ont difficilement fait face à leurs responsabilités. Un sentiment d’impunité de ces hommes s’est installé au sein de l’opinion et des milliers de justiciables ne croient plus à la justice.
Les chiffres sont-ils révélateurs du degré de délinquance qui sévit dans le corps de la magistrature au Cameroun ? Une chose est certaine, les chiffres avancés par le ministre de la justice devant les sénateurs ne traduisent pas à la réalité près, le degré de décrépitude de la magistrature au Cameroun.
Devant les sénateurs, le 27 juin dernier, dans le cadre des questions orales au gouvernement, Laurent Esso, le ministre de la Justice, a révélé que « pour un effectif total de 1 784 magistrats, l’inspection générale des services judiciaires est actuellement saisie de 865 procédures d’enquêtes ». Des enquêtes majoritairement liées aux affaires de corruption dans le corps de la magistrature.
Le garde des Sceaux expliquait qu’après les enquêtes menées par l’inspection générale, les dossiers sont, le cas échéant, transmis aux organes disciplinaires qui statuent sur le cas des magistrats concernés. Ces enquêtes sont menées de manière confidentielle. La comparution des magistrats devant les organes disciplinaires se déroule de manière contradictoire, et le magistrat mis en cause peut se faire assister par un ou deux avocats.
Le ministre de la Justice a en outre ajouté qu’en termes de sanctions, elles peuvent aller jusqu’à la révocation, bien que seule cette dernière soit rendue publique. « Les décisions rendues sont classées dans les dossiers individuels des mis en cause. Seules sont publiées les décisions portant révocation », a-t-il précisé.
Une communication du ministre de la Justice qui s’apparente à un ” greenwashing” de la délinquance au sein de la magistrature. Entre abus de pouvoir, corruption, faux et usages de faux, insuffisance professionnelle, la liste des griefs portés contre les magistrats est vertigineuse. La plupart des plaintes déposées contre ces hommes de lois survivent difficilement au classement sec et brutal dans les tiroirs d’un Conseil supérieur de la magistrature saisonnier.
Quand il a même la chance de se tenir, l’organe chargé de la gestion des carrières des magistrats s’en tire souvent avec quelques sanctions souvent taxées de règlement de compte contre les magistrats qui ont refusé de torpiller la justice en faveur du pouvoir exécutif et des pontes du régime.
Enfumage
Si Laurent Esso a clairement dévoilé le nombre de magistrats visé par des enquêtes disciplinaires, au sein de l’opinion, on pense que c’est du trompe-l’oeil. Christophe Bobiokono, directeur de publication de Kalara et chroniqueur judiciaire pense que : les déclarations de Laurent Esso sont “un aveu d’inertie. Il y a une inspection générale des services dont le rôle est d’enquêter sur les magistrats. Mais quand tu regardes le comportement des magistrats dans la société, c’est surprenant qu’au bout de chaque année, on ait pas un nombre important de magistrats sanctionnés. C’est vrai qu’on nous dira que les sanctions sont secrètes”, commente-il.
Maître Ntimbane Mbomo, avocat partage le même avis. “Le constat que j’ai fait après des décennies d’exercice professionnel comme Avocat au barreau du Cameroun est que les sanctions des magistrats sont extrêmement rares, particulièrement celle de révocation qui devrait pourtant frapper sans aucune excuse atténuante, tout magistrat impliqué dans un quelconque acte de corruption. Car il est impensable et injustifié qu’on puisse continuer à exercer la profession de juger les hommes, si on est faux.
Les procédures judiciaires annoncées par le Garde des Sceaux, ont simplement le mérite de confirmer ce que les camerounais déplorent au quotien, à savoir le dysfonctionnement de la justice, lequel aura provoqué un climat de suspicion permanente entre le magistrat et le justiciable. La confiance en la justice ayant disparu. En conclusion, je ne crois pas à la bonne issue de ces procédures disciplinaires qui devraient pourtant extirper de la noble profession sacerdotale de magistrat, tous les mauvais éléments. Mais
que voulez- vous quand en toute impunité, de nombreux magistrats vivent dans l’opulence de biens acquis sans aucune justification? “, se demande -t-il.
Christophe Bobiokono va plus loin, il pense que Laurent Esso a organisé la magistrature de façon à protéger les magistrats. ” Il a plusieurs défendu les magistrats qui étaient accusés d’un certain nombre d’infractions. Et aujourd’hui on est arrivé au niveau où certains magistrats opèrent comme des gangs dans les juridictions “, ceci avec la protection et la bénédiction du ministre de la Justice.