Plusieurs journalistes ont été arrêtés puis détenus dans le cadre d’une garde à vue administrative. Une vieille loi utilisée vers les années 90 dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme est dénoncée par les organisations des droits de l’homme.
Les journalistes au Cameroun passent sous les fourches caudines de l’administration territoriale. Ces derniers mois, plusieurs d’entre eux ont été détenus dans le cadre des gardes à vue administratives. Le dernier en date, Engelbert Mfomo, journaliste et directeur de publication du journal L’Activateur.
Thierry Kin Nou Nana, le préfet de Mfou dans le centre du Cameroun, avait ordonné l’arrestation du journaliste Engelbert Mfomo la semaine dernière. Le directeur de publication du journal L’Activateur avait été mis aux arrêts pour avoir rédigé des articles qui n’ont pas été du gout de l’autorité administrative.
Le préfet avait alors signé une garde à vue administrative de 48 heures, sans autre forme de procès. Seulement les 48 heures étaient passées, mais le journaliste était resté en détention. Il a été libéré plus tard après plusieurs pressions et après avoir été obligé de signer une lettre d’excuse.
Avant lui, Bertrand Ayissi, journaliste dans le bihebdomadaire L’Œil du Sahel, avait aussi été arrêté en 2023 dans le cadre d’une garde administrative, signée par le gouverneur de Ngaounderé. Bertrand Ayissi avait été pris pour avoir publié une enquête le 18 aout 2023 dénonçant les pillages des cimetières liés au trafic des ossements humains et une réponse faible de l’autorité administrative à ces actes de vandalisme.
Si les autorités administratives continuent d’utiliser ce moyen pour museler la presse, les ONG dénoncent un instrument qui viole les principes de démocratie. « La garde à vue administrative est très utilisée au Cameroun par les autorités administratives, pourtant elle est un instrument qui viole les principes démocratiques et de l’État de droit. »
La garde à vue administrative est une mesure, comme son nom l’indique, de privation de liberté en marge des normes établies par le Code de Procédure pénale. Selon cette mesure établie par la loi de 1990 sur le maintien de l’ordre public, l’autorité administrative peut prendre des mesures de garde à vue d’une durée de 15 jours renouvelables (sans limitation) dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme, », explique Cyrille Bechon, directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme.
Selon elle, « le problème avec cette disposition est qu’elle porte sur les aspects essentiels que sont les droits et libertés fondamentaux comme la loi de 2014 sur la répression du terrorisme, qui sont tous des leviers dont dispose l’autorité administrative au Cameroun pour brimer et enfreindre la liberté d’expression.
Plusieurs questions peuvent être posées,, dont entre autres : pourquoi une disposition sur le « banditisme » ou mieux le « grand banditisme » est appliquée à un journaliste du fait d’une de ses publications ; que vient faire le « grand banditisme » dans « le maintien de l’ordre public » ; que signifie le « grand banditisme » ? », se demande-t-elle.
Elle dénonce ensuite un pouvoir sans contrôle donné aux autorités administratives. « Dans le cas du Cameroun, chacun peut avoir sa propre réponse à ces différentes questions. Mais ce qui est dangereux c’est le pouvoir sans contrôle ni limitation qui est ainsi donné à l’autorité administrative sur les droits et libertés fondamentaux du citoyen ».
Pour certains observateurs, pour plusieurs préfets, sous-préfets et gouverneurs, c’est tout simplement une arme utilisée pour réduire au silence, faire peur, menacer, humilier, brimer, non seulement les journalistes, mais aussi les autres citoyens.