Assassinat, intimidation, arrestation des journalistes, précarité des médias, financement de la presse aux ordres, pénalisation des délits de presse, le pouvoir de Yaoundé ne cesse de resserrer l’étau autour de toute velléité d’indépendance de la presse.
La situation de la liberté de la presse s’est aggravée au Cameroun ces dernières années. Entre 2023 et 2024 notamment, l’information et ses acteurs ont connu une très forte répression. Dans son dernier classement, l’ONG Reporters Sans Frontières classe le Cameroun à la 130e place sur 171 pays classés dans le monde en 2024. L’ONG indique que : « les professionnels de l’information évoluent dans un environnement hostile et précaire ». Ajoutant qu’« il est impossible d’adopter une ligne éditoriale critique et indépendante sans faire face à d’importantes menaces et pressions lorsque les intérêts du pouvoir et de ses représentants sont en jeu.»
Assassinat et intimidations des journalistes
Ce classement déshonorant n’est pas le résultat d’un complot contre le Cameroun. Dans la réalité, les faits sont plus grave. En 2023 seulement, au moins trois journalistes ont été assassinés dont Martinez Zogo. Enlevé par un commando uniquement composé des agents du service de contre-espionnage camerounais, celui qui était encore chef de chaine de la Radio Amplitude FM a été torturé puis assassiné. En plus des assassinats, plus d’une dizaine de journalistes ont été convoqués par les services de police judiciaire. Parmi eux, Xavier Messe, l’un des plus vieux journalistes en activité au Cameroun. Une situation qui a contraint plusieurs autres journalistes à l’exil, notamment Haman Mana, le directeur de publication du quotidien Le Jour ; Cedric Noufele, le présentateur vedette de la Radio Equinoxe ; ou encore Paul Chouta, l’animateur de la page TGV de l’Info.
Au moins 7 journalistes croupissent en prison
Dans son récent rapport, le Comité de Protection des Journalistes (CPJ)classe le Cameroun au troisième rang des Etats qui emprisonnent le plus de journalistes en Afrique subsaharienne.
Sur la liste des journalistes camerounais emprisonnés, le plus anciens est Amadou Valmouké, ancien directeur général de la Cameroon Radio and Television (CRTV). Arrêté en 2016 pour détournement de fonds présumés, Vamoulke a comparu plus de 140 fois, avant d’être condamné à 12 ans de prison et à 47 millions de francs CFA centrafricains (76 000 dollars) d’amende en 2022. Un nouveau procès s’est ouvert contre lui, le 2 mai dernier. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a demandé la libération immédiate de Vamoulké et l’assurance qu’il recevrait des soins médicaux car il est malade et risque de perdre l’usage de ses jambes. Le gouvernement a déclaré que la détention de Vamoulké était conforme aux «dispositions légales pertinentes ».
En août 2023, un autre journaliste camerounais, Stanislas Désiré Tchoua, était placé derrière les barreaux à la prison centrale de Yaoundé. Propriétaire de trois médias, il a été condamné à un an de prison pour diffamation pour un article qu’il avait publié à l’égard d’un député du parti au pouvoir, le Rdpc, Jean Claude Feutheu.
Quatre autres journalistes se trouvent actuellement dans la prison de Kondengui, Tsi Conrad, Mancho Bibixy, Thomas Awah Junior et Kingsley Njoka, sont accusés d’avoir agi contre les intérêts de l’État dans le contexte du conflit qui secoue les zones anglophones depuis 2017.
Le dernier journaliste à être envoyé en prison, Bruno Bidjang, l’ancien directeur de Vision 4, il accusé de propagation de fausses nouvelles et a déjà plaidé coupable devant le Tribunal militaire de Yaoundé.
Si la presse ne s’est jamais bien portée au Cameroun, ces derniers mois la situation est devenue chaotique. Certains analystes mettent d’ailleurs le contexte de répression accrue des journalistes en corrélation avec la fin du règne de Biya. « Dans un contexte de fin de règne, les médias libres sont des objectifs et cibles privilégiées pour les clans qui tentent de contrôler l’information en violation des garanties apportées par les lois nationales et internationales », analyse un politologue
Précarité dans la presse et financement des médias occultes
Dans la plupart des pays qui promeuve la liberté d’expression, les conditions pour exercer la profession de journaliste sont assez souples. Mais au Cameroun, cette dispense semble être « la pirouette du pouvoir pour faire recruter dans les milieux de la presse des « bandits » à tout vent. Et c’est ainsi eu le milieu de la presse se retrouve infester par des indics et des charlatans qui opèrent pour le compte du pouvoir », commente un journaliste.
Ce sont ces mercenaires, entrés dans la profession par effraction qui tiennent selon le journaliste Haman Mana « la presse à gage », où on met un contrat sur une tête et le « journaliste » l’exécute. C’est dans ce clan qu’a prospéré Jean Pierre Amougou Belinga, le patron des médias du Groupe l’Anecdote. Entièrement acquis au pouvoir de Yaoundé, ce groupe de presse a reçu des financements mirobolants du pouvoir. « Dans les périodes précédant l’élection présidentielle de 2018, la chaîne de télévision Vision 4 a reçu du gouvernement, selon des documents qui ont fuite sur les réseaux sociaux, des financements de près de 2 milliards de francs CFA. Une subvention gouvernementale destinée à la mise à jour de la régie centrale de Yaoundé, et à l’amélioration du système d’information ; à l’arrimage sur le satellite ARAB SAT », apprenait-on des documents qui avaient fuité sur les réseaux sociaux.
Dans le même sillage, une enquête publiée en mai 2021, par le magazine économique français Capital révèle par exemple les dessous du financement de la chaine Africa 24 du Camerounais Constant Nemale par le gouvernement Camerounais. « La chaîne d’information africaine qui réalise le plus d’audience, Africa 24 a reçu plus de 40 millions d’euros (soit 26,2 milliards de Francs CFA, NDLR) de Yaoundé », écrit Capital.
A côté de ces médias qui reçoivent de gros financement du pouvoir, caracole une autre catégorie de médias qui reçoivent des financements à la parution et qui servent détonateur dans la lutte de pouvoir entre les alliés du régime.
De l’autre côté, la presse qui essaye de fournir une information indépendante croupit dans la misère. « Les journalistes sont clochardisés. Certains passent des années entières sans salaire. Et malgré cela, certains journalistes continuent de fournir l’information indépendante, malgré la précarité ».
Pour se faire bonne conscience, le gouvernement octroie chaque année, des subsides appelés aide publique à la presse privée. Une enveloppe souvent insuffisante et que le ministre de la Communication se partage avec ses copains.
L’urgence des reformes
Marion Obam, la présidente nationale du Syndicat National des Journalistes du Cameroun, répondant à nos confrères de Equal Times avait indiqué que « Malgré l’impartialité de la constitution de notre pays à l’égard de la liberté d’expression, il subsiste une atmosphère générale de peur étant donné qu’une infraction de base, telle que la diffamation, est toujours considérée comme un délit pénal faisant potentiellement encourir à ses auteurs de longues peines d’emprisonnement et des amendes faramineuses ».
Le SNJC qu’elle dirige continue de réclamer une meilleure législation des médias, notamment l’accès à une loi sur l’information pour faciliter le travail des journalistes qui cherchent à obtenir des renseignements auprès des agents publics, la dépénalisation des délits de presse, et la mise en place d’un organisme de réglementation des médias réellement indépendant et d’une commission nationale de la carte de presse qui délivre des accréditations aux journalistes.
De son côté, Christophe Bobiokono, le directeur de Publication de Kalara, revendique la création d’un ordre des journalistes.
Depuis la fin du Forum national de la communication pour réformer le paysage médiatique du pays. Le gouvernement a annoncé qu’il souhaitait engager des réformes sur la législation des médias et la création d’un organisme spécial pour les médias, entre autres. Plus de 10 ans plus tard, on attend les reformes, les reformes ne viennent pas.
Joseph Essama