Un éditorial de George Alain BOYOMO.
Le propre de la routine est qu’elle installe en nous le manque de motivation, la lassitude. Au moment d’écrire sur le 40ème anniversaire de l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême, même le journaliste au moral d’acier ne résiste pas à l’ennui que procure cet exercice. Du coup, c’est en traînant les pieds qu’on y va, en imaginant l’alchimie qui permettrait d’être intéressant pour les lecteurs. Nous sommes donc allés puiser dans l’inspiration de trois artistes musiciens dont les chansons résistent au temps. Sans doute on se plaît et on se plaira à réécouter leurs oeuvres musicales. Il s’agit d’une Ngalle Jojo dans “Essimo n’a rigueur”, Ndedi Eyango “Patou” et Petit pays “peur dans la cité”.
Au lendemain de l’avènement de Paul Biya à la présidence de la République, le 6 novembre 1982 Ngalle Jojo est au côté des artistes tels que feue Anne-Marie Nzie, l’un des créateurs dont les chansons ont magnifié le changement
que le peuple camerounais respirait alors. A pleins poumons. Son titre culte, “Essimo n’a rigueur” est une ode au renouveau et à son promoteur Paul Biya.
L’artiste y scande “rigueur rigueur rigueur”, et rappelle que lorsque le champion du RDPC accède au pouvoir, “on [le peuple] en avait assez”. De qui ? Ahmadou Ahidjo qui avait démissionné quelques mois plutôt après près d’un quart de siècle de règne. “Tout le Cameroun derrière Paul Biya, soutien total, avec Paul Biya c’est la justice, Paul Biya synonyme de paix, Paul Biya synonyme de progrès”, égrène le chanteur.
40 ans après, le chanteur peut-il redire la même chose du successeur d’Ahmadou Ahidjo ? Cette question nous replonge au cœur du bilan des années Biya. Après 25 ans d’Ahidjo, si le peuple “en avait déjà assez”, que pense ce même peuple de M. Biya qui totalise 40 ans au pouvoir ? Il eut été judicieux que Ngalle Jojo fit lui-même le bilan de Paul Biya 40 ans après. Sans doute, le cours des choses lui aurait inspiré une autre tonalité.
Comme la nature à horreur du vide, d’autres artistes sont vent debout. Ainsi de Ndedi Eyango qui, en 1989, fait sensation avec le titre “Patou”. La chanson dépeint en de mots simples, les maux dont souffre la société. “Patou ooh Je me fais trop de soucis, ah Patou Patou, nous avons beaucoup de problèmes, abats le tribalisme, abats la corruption et l’injustice sociale, y compris le manque de respect…, pourquoi tant de mépris auprès des usagers dans les hôpitaux, dans les ministères, dans les commissariats, dans tous les services publics règne la corruption, règne le tribalisme, règne le mépris, règne la négligence… Chez nous, tout le monde est le patron, qui est le planton? Chacun se dit grand, qui est petit ? Chacun arrive à son heure, il fait ce qu’il veut, menace à son tour, travaille à sa guise, décide comme il veut, quel remue-ménage !… Innocent en prison, coupable en liberté iyooh… “. Un visage sombre mais fidèle de notre société qui n’a pas pris de ride.
Courant novembre 2016, Petit Pays en rajoute une louche. Le titre” peur dans la cité” est fort embarrassant pour le régime, même si fort malicieusement, le turbo d’Afrique déclare qu’il n’indexe personne particulièrement. L’hommage aux victimes de l’accident d’Eseka, survenu le 21 octobre 2016, fait le procès de Paul Biya et du système qu’il incarne : “tout le monde est castré, tu as castré tout le monde. Tu as utilisé et détruit ton entourage pour régner seul… beaucoup d’innocents sont en prison… Ça c’est la trahison… Tu laisse la rébellion comme patrimoine… Tu as opté pour la peur… pour un rien, tout le monde a peur de toi… nul n’a le droit de se prendre pour Dieu, Dieu ne supporte pas cela. Tôt ou tard tu vas payer “, dégaine t-il.
Dimanche 6 novembre 2022, le renouveau célèbre ses 40 ans. Au-delà des flonflons de cet anniversaire, une question s’impose : comment reenchanter le peuple qu’on gouverne depuis 40 ans, avec des hauts, mais surtout des bas ? Là est le principal défi qui interpelle Paul Biya.
Au stade actuel, on peut faire l’hypothèse qu’au vu des crises qui s’enchaînent à un rythme effréné, crise économique, crise sécuritaire, des batailles féroces de succession dans son entourage et de l’usure du pouvoir, il sera très difficile “à l’homme du 6 novembre” de donner au Cameroun, la direction qui dépendrait de sa seule vision originelle du pays. Il est même fort à parier que le chef de l’État sera désormais à l’image de ce plombier réduit à boucher les fuites d’eau de manière cyclique avec un relatif bonheur.
Mutations du lundi 31 octobre 2022