Nous publions l’intégralité de l’interview de l’universitaire en réaction aux critiques contre son rapprochement avec Emmanuel Macron, le président français.
Beaucoup lui ont reproché d’avoir accompagné le président français lors de son dernier voyage au Cameroun et s’interrogent sur leur proximité apparente. Le philosophe réplique et revient sur ses engagements.22 août 2022 à 16:36Par Clarisse Juompan-YakamMis à jour le 22 août 2022 à 16:44Hormis quelques romanciers comme le Sud-Africain John Maxwell Coetzee ou les Nigérians Chinua Achebe et Wole Soyinka, il est l’intellectuel africain le plus traduit au monde. Chaque ouvrage qu’il publie est traduit dans une quinzaine de langues, dont le catalan, le néerlandais, le serbe, le danois, le suédois, l’arabe et le japonais. Pourtant, le rayonnement international de son travail est mal connu sur le continent et beaucoup n’hésitent pas à lui tirer dessus à boulets rouges. Comme après son dernier séjour au Cameroun, en compagnie du président français, Emmanuel Macron.Jeune Afrique : Êtes-vous frustré par les critiques incessantes auxquelles vos engagements publics vous exposent ?Achille Mbembe : Il y a deux catégories de réponses à mes prises de position théoriques et publiques. D’une part, il y a des attaques, parfois ad hominem, des tentatives d’intimidation ou de chantage, voire, dernièrement, des menaces plus ou moins voilées. Elles viennent souvent d’individus paumés, qui ont raté leur vie et qui, pour expliquer leurs misères, convoquent toutes sortes de boucs émissaires. D’autre part, il y a des critiques d’autant plus bruyantes qu’elles sont oiseuses et sans objet. À l’origine de ce vacarme se trouvent souvent des gens qui ne cherchent pas à réfléchir aux vrais enjeux, qui ne les comprennent pas ou si peu, ou qui s’ennuient. Alors qu’ils pourraient consacrer leur énergie à construire des idées, des projets, que sais-je, ils préfèrent tout démolir. C’est tellement plus facile ! Colonisant les réseaux sociaux à longueur de journée, ils jouent le rôle de petits ayatollahs et insultent ciel et terre.Que répondez-vous à ceux qui disent s’appuyer sur vos travaux académiques pour critiquer vos engagements politiques ?Sur le plan proprement académique, je suis davantage lu, étudié et commenté aux États-Unis, en Europe, dans des pays tels que l’Inde, le Mexique, le Brésil, la Turquie, etc., qu’en Afrique. Très peu d’Africains connaissent véritablement mes travaux. Pour quelles raisons ? La plupart n’y ont tout simplement pas accès. D’autres ne lisent point ou lisent mal. D’autres encore ne sont guère au courant des thèmes sur lesquels portent mes écrits ou n’ont pas l’humilité d’apprendre.Ce qui est certain, c’est qu’ici, le débat est faussé. Ailleurs, on m’invite pour réfléchir, pour écouter et dialoguer, pour débattre. Ici, nous ne sommes pas sur le terrain des idées. Au lieu de produire leur pensée propre, les plus sectaires d’entre eux prétendent me contredire à coups de caricatures. Il suffit que je renifle et ils toussent. Nous sommes donc très loin de l’échange posé et constructif qui fait avancer les idées et permet une compréhension plus subtile des défis auxquels fait face le continent.Qu’est-ce qui, selon vous, explique ces attaques ad hominem, dont la plupart viennent d’intellectuels comme vous ?Il y a probablement une part d’envie et de jalousie. Mais pourquoi ceux qui m’insultent ne publient-ils pas, dans la durée, des livres sérieux et des articles dans les revues académiques internationales ? Pourquoi ne produisent-ils pas des idées originales, des concepts et des analyses susceptibles de retenir l’attention de leurs pairs, de critiques reconnus, voire de décideurs ? Eh bien, parce que c’est difficile. Tout cela est le résultat d’années de travail acharné, d’études et d’abnégation. L’engagement au service de la pensée est en effet semblable à un sacerdoce et, il faut, pour réussir, prendre des risques, sortir de la répétition, éprouver le besoin de faire partie de quelque chose d’utile. Au lieu d’emprunter des chemins aussi escarpés, beaucoup préfèrent se défouler sur les réseaux sociaux. Que voulez-vous que j’y fasse ?Il y a néanmoins des critiques d’ordre politique ou idéologique qui vous sont adressées. Pourquoi n’y répondez-vous jamais ?Je n’ai pas de temps à perdre.Que dites-vous à ceux qui affirment que vous avez changé votre fusil d’épaule ?Auraient-ils attentivement suivi mon travail, ils auraient bien vu comment, au cours de toutes ces années, la question de savoir ce qui vaut la peine d’être construit et comment a toujours été au centre de ma réflexion. Ils auraient pris bonne note de ma critique constante du sectarisme, de l’identitarisme et de toute forme de racialisme ou de nativisme. Ils auraient bien vu comment cette réflexion tourne de plus en plus autour de la thématique du vivant, de l’en-commun, de la démocratie à venir, de la réparation. C’est parce que, en vérité, je n’ai jamais été partisan de la révolte pour la révolte, en circuit clos. Mes prises de position politique ont toujours été la conséquence de ma réflexion théorique. La question générale de la nature de notre société et des moyens de la transformer me préoccupe toujours. Pendant longtemps, je l’ai abordée du point de vue de la critique théorique. Il ne s’agit pas de déserter complètement le champ de la théorie. Mais, cela est vrai, je suis à un moment de mon propre parcours où, face aux enjeux du siècle, il me semble absolument nécessaire d’élargir nos modes de pensée et de présence, d’habiter l’imagination autrement si on veut inventer de nouveaux liens avec l’ensemble du vivant.Avez-vous toujours été un rebelle ? Certains vous disent simplement arrogant…Mon seul et unique rêve dans la vie aura été d’être, du début jusqu’à la fin, un esprit libre. Je n’ai jamais accepté d’avoir un directeur de conscience, quelqu’un qui me dicte ce que je dois penser, avec quel accent je dois parler, qui je dois fréquenter, quelle opinion je dois entretenir, comment je dois me conduire. Je ne crois en aucun catéchisme. Je n’appartiens à aucun parti politique ni à aucune secte. Je ne suis même pas membre du syndicat des enseignants de mon université. Je ne suis le fidèle d’aucune Église. Je n’ai pas de pasteur et ne possède pas de biens : je n’ai ni maison ni voiture, aucune cravate. Je déteste l’argent et n’en use point qui n’ait été gagné à la sueur de mon front. Si faire l’expérience de cette sorte de frugalité et de joie ascétique, c’est être rebelle, alors j’aurai aspiré toute ma vie à en devenir un, et je ne suis pas loin du but.Dans quelle mesure ces traits de caractère ont-ils influencé votre parcours intellectuel et politique ?Je me suis laissé porter par de réelles interrogations, les rencontres qu’il m’a été donné de vivre, une authentique curiosité, les situations humaines qui m’ont interpellé. Par exemple, sous l’influence de ma grand-mère, j’ai consacré beaucoup de temps à réfléchir à la question de la résistance et de la lutte, ou encore à celle des mémoires de la défaite. Mes premiers travaux portaient sur les pratiques d’indocilité et d’indiscipline. J’ai été profondément influencé par les traditions prophétiques du christianisme, la théologie de la libération, les pensées juives du messianisme. Cela a aussi été le cas de l’expérience historique africaine-américaine, de l’expérience sud-africaine, toutes deux malheureusement peu connues ou étudiées en Afrique francophone.L’AFRIQUE EST À LA FOIS UNE RÉSERVE DE PUISSANCE ET UNE PUISSANCE EN RÉSERVEComme vous le constatez, les courants de pensée qui m’ont le plus influencé reposaient, les uns et les autres, sur un surplus de souffle, sur quelque assise spirituelle, sur le projet d’appartenance non à un village restreint et fermé, mais à une communauté véritablement planétaire. Je ne me suis jamais contenté du politique pour le politique. Le politique ne se suffit pas à lui-même. Sans ce souffle et ce supplément de sens, il se ramène à une vulgaire affaire de pouvoir pour le pouvoir, sans but ni finalité autre que le pouvoir.Cette dimension spirituelle explique-t-elle votre réticence à recourir à la violence ou à embrasser certaines formes de radicalisme ?Elle explique pourquoi tout ce cheminement m’aura conduit, en fin de compte, aux questions du vivant et de l’en-commun, interrogations décisives de notre temps s’il en était. Elle explique aussi pourquoi, face au sectarisme et à l’esprit villageois de l’époque, j’évoque sans cesse l’afropolitanisme en tant que modalité d’ouverture sur le monde, de déclosion du monde, ou en tant que figure singulière de la nécessaire conscience planétaire que requièrent les temps que nous vivons. Je sais que la violence des dominants est la mère de toutes les autres violences. Je sais aussi qu’à certains moments de l’Histoire, il n’y a pas d’autre choix que de résister. Si les conditions l’exigent, je préfère mourir debout plutôt qu’aplati, le visage affalé sur la face ventrale de l’existence. Mais il ne s’agit pas de faire des choix dans l’abstrait. Il s’agit de les vivre au quotidien, dans des luttes réelles et situées, en faisant chaque fois le pari de l’intelligence et de l’espérance au détriment de la haine, de la bêtise et du sectarisme. Je déteste le sectarisme, qui se nourrit de bêtise et qui nourrit la haine.Le panafricanisme a-t-il une place dans votre cheminement intellectuel et politique ?Les motifs chrétiens de la crucifixion et de la résurrection m’auront marqué plus que tout, peut-être parce qu’en eux se jouent, de façon très directe, la part tragique et la part d’allégresse de toute existence. Leur impact sur mon interprétation de l’anticolonialisme et ma philosophie de la libération est incontestable. Le panafricanisme a toujours été pour moi une question ouverte. Il ne saurait être un dogme. On ne crée strictement rien en passant ses journée à psalmodier Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon et tous les autres. Pour répondre aux défis de notre temps, nous sommes obligés de penser à la fois avec eux et contre eux. Pour moi, l’Afrique est à la fois une réserve de puissance et une puissance en réserve. Je milite pour qu’un jour, elle redevienne son centre propre, sa force propre, un vaste espace de circulation par-delà les frontières héritées de la colonisation, un acteur géopolitique à part entière. Et c’est en mobilisant les ressources de l’intelligence collective, et non dans la bêtise du sectarisme et de la haine, que nous y arriverons.Quelle est la nature exacte de votre rapport avec votre pays, le Cameroun ?Très jeune, j’ai eu des problèmes avec mon pays natal. J’avais 14 ans quand Ernest Ouandie a été exécuté. J’avais suivi son procès et celui de Mgr Albert Ndongmo quand j’étais à l’internat, dans le secondaire. Cet épisode m’a beaucoup marqué. Ma grand-mère m’avait beaucoup parlé de la lutte pour l’indépendance, à laquelle elle avait pris part, et dans laquelle son fils unique, compagnon de route de Ruben Um Nyobe, est tombé. Il s’appelait Pierre Yem Mback. Pendant une dizaine d’années, j’ai été ostracisé pour avoir publié les écrits de Ruben Um Nyobe que je cherchais à sauver de l’oubli. C’était à une époque où il était interdit de prononcer son nom en public, le sien tout comme ceux des autres martyrs de l’époque. Mon regard sur notre histoire et sur ce dont nous sommes capables est donc tout sauf naïf. Il suffit, à cette époque, de lire proprement mes travaux. Cette part de lucidité, j’y tiens. Pour le reste, mon plus grand souhait est que s’ouvre bientôt pour le Cameroun un grand moment de réconciliation générale.Venons-en à vos rapports avec la France. Comment les caractériseriez-vous ?Nous avons une histoire commune. Elle est ineffaçable. Mais avoir un passé ensemble ne signifie pas automatiquement avoir un futur en commun. Il y a des mémoires stériles, qui ouvrent sur des chemins qui ne mènent nulle part. Le risque est de rester empêtré dans ces mémoires stériles. La mienne n’a jamais été une critique nihiliste de la politique française en Afrique. J’ai toujours vécu dans l’espérance qu’un horizon constructif puisse exister. Encore faut-il être capable d’en déchiffrer les signes. Cela exige de rester en permanence en éveil. Le futur, il faut l’inventer. Pour ce faire, il nous faut sortir d’un rapport infantile et parfois hystérique avec la France.Est-ce ce qui explique votre rapprochement avec Emmanuel Macron ?La Françafrique n’a aucun avenir même si sa lente agonie peut se poursuivre encore pendant un bon moment. Si beaucoup commencent à le comprendre, très peu, côté français comme côté africain, ont une idée nette de ce par quoi il faut la remplacer. Le plus grave serait qu’elle survive davantage dans l’esprit de ceux qui prétendent la combattre que dans celui de ceux qui voudraient la pérenniser. Sur un plan historique, il existe donc une fenêtre de tir. C’est mon pari, et je peux évidemment me tromper. Il faut s’en saisir et essayer de l’élargir, car elle ne restera pas ouverte pendant longtemps. C’est ce à quoi l’on s’efforce de contribuer, comment y contribuent au demeurant quantité d’individus, mouvements et petits collectifs en Afrique et en France.On vous a reproché d’avoir accepté d’accompagner Emmanuel Macron au Cameroun, lors de sa dernière tournée africaine. Pourquoi l’avez-vous fait ? Je ne vois pas de quoi ils se mêlentL’intellectuel que vous êtes ne se lie-t-il pas les mains en acceptant ce type d’invitation ? Emmanuel Macron n’a jamais proposé de me lier les mains. En vérité, ce qui l’intéresse, ce qui l’a toujours intéressé, c’est qu’elles soient le plus libres possible. Je parle des mains, mais il s’agit en réalité du cerveau. Si connivence il y a – et elle enrage beaucoup d’ignorants –, c’est précisément sur cette base. Il est en effet possible d’entretenir avec le pouvoir, tout pouvoir, un rapport de totale liberté. Les faibles d’esprit n’étant pas habitués à ce type de relation, je comprends qu’ils laissent fleurir maints fantasmes à mon sujet et au sujet de mon rapport à Emmanuel Macron.Que répondez-vous à ceux qui préconisent une rupture nette avec la France ?Je l’ai dit à plusieurs reprises, il n’y a strictement rien que la France puisse donner à l’Afrique que l’Afrique ne puisse s’offrir à elle-même. Il n’y a pas meilleur pari historique et déclaration plus radicale de liberté. Encore faut-il en mesurer les conséquences et être prêt à les assumer. Je crois, avec plusieurs autres, qu’il faut sortir d’un face-à-face stérile avec la France, dans la perspective de réinvention d’un monde en commun. Parce que nous n’avons pas le choix. Les grands défis sont communs, l’avenir ne pourra être que commun. Je suis, comme vous l’imaginez, de celles et ceux qui plaident pour un engagement critique avec le reste du monde, avec la France, mais aussi avec les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, l’Allemagne et les autres puissances du monde. De toute façon, ce ne sont pas des choses qui se décrètent. Une rupture ne s’improvise pas. Elle se construit, loin des incantations.À peu près un an après le Sommet de Montpellier, où en est-on ?Petit à petit, un autre écosystème doit se mettre en place avec de nouveaux acteurs, de nouveaux outils intelligents, et d’abord en Afrique même, où nous disposons d’un remarquable réservoir de jeunes. La Fondation de l’innovation pour la démocratie sera lancée en octobre prochain et commencera ses activités dès 2023. Elle se construira avec celles et ceux qui sont d’ores et déjà engagés dans l’animation de l’intelligence collective et la mobilisation citoyenne. Elle leur donnera de la résonance et des possibilités de développement. Elle proposera des lieux physiques et digitaux de débat, d’échange, de construction de connaissances et de sens, des parcours pédagogiques cibles, de la mise en réseau de collectifs, de l’accompagnement de projets innovants. Elle sera à la fois dans l’écoute, dans la collaboration et dans la transmission. Elle investira dans des technologies intelligentes… Bref, des formes inédites d’accès aux savoirs, de prise de conscience et de mobilisation seront co-construites pas à pas, avec toutes celles et tous ceux qui sont soucieux de réarmer la pensée sur la démocratie et de mobiliser les bonnes volontés. L’idée est de relancer l’agenda démocratique sur le continent.Que devient la Maison des mondes africains ?La Maison des mondes africains verra le jour bien avant la fin du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. Luc Briard, Liz Gomis et bien d’autres y travaillent avec intelligence et acharnement. Notre vœu est que la Ville de Paris, Anne Hidalgo en premier, s’y implique avec tout l’entrain que suscite ce projet aussi bien en France qu’à travers le reste du monde. D’autres initiatives sont en cours, dans l’esprit du Sommet de Montpellier. Tel est le cas du Campus nomade et du Collegium Afrique-Europe que pilote l’historienne Leyla Dakhli. D’autres groupes de travail vont progressivement être mis en place, notamment sur les musées de demain et autres tiers lieux, ou sur le développement des industries culturelles en Afrique. Le même élan est en cours dans les grandes institutions de recherche telles que le CNRS ou l’IRD. L’AFD n’est pas en reste, puisqu’elle est à la pointe de ce renouveau en gestation. En réalité, c’est un vaste mouvement intellectuel et générationnel qu’il faut enclencher. Pour cela, il y a besoin d’un véritable réarmement du point de vue des idées et des concepts. Le Sommet de Montpellier a ouvert la voie à un dialogue substantiel avec la société civile qui repose sur cette nouvelle forme d’intelligence. Nous transformerons la relation en mettant cette façon de penser au service de co-actions inédites par le biais d’outils intelligents. Du reste, au cours des trois années qui viennent, neuf forums régionaux auront lieu, à commencer par celui de Johannesburg, en octobre. C’est ainsi que l’on construira, méthodiquement, la rupture.Et qu’en est-il des autres facteurs tels que les interventions militaires ou le franc CFA ?L’on n’échappera pas à une remise à plat de toutes ces questions. Il y a une forte demande, notamment de la part des nouvelles générations, de reprendre en main le destin des nations africaines et, sur cette base, de participer librement à l’édification de la communauté terrestre. Une simple révolte sans idées ni moyens serait cependant la pire manière de s’y prendre. Si rupture avec les modèles passés il doit y avoir, il faut, ensemble, tracer l’horizon et construire le chemin de façon méthodique. Après ce qui s’est passé au Mali, il est temps, par exemple, de changer radicalement la posture stratégique française en Afrique. Il ne faut pas seulement sortir du paradigme des expéditions militaires à répétition. Il faut élargir notre conception de la sécurité humaine sur le continent et poser, sans masque, la question de la présence et de l’utilité des bases militaires françaises dans un contexte de relance de la compétition entre les puissances. Certains analystes prétendent qu’une des raisons de la perte d’influence française en Afrique est la conditionnalité démocratique. C’est faux. L’on ne mettra pas fin à la fragilité politique des États africains par davantage de militarisme ou en fermant les yeux sur les dévastations qui résultent de la tyrannie. Plus la France renforcera sa posture militariste en liant son sort à celui de pouvoirs corrompus, vieillissants et prédateurs, plus elle mettra en danger ses propres intérêts. L’aggiornamento sera intégral ou ne sera pas.À LIRE[Tribune] Achille Mbembe : « Emmanuel Macron a-t-il mesuré la perte d’influence de la France en Afrique ? »Que pensez-vous de l’engagement d’Emmanuel Macron de mettre en place une commission d’historiens pour revisiter les années de guerre (1960 et 1971) au Cameroun ?Cet engagement s’inscrit dans la continuité du travail fait autour des restitutions, de l’Algérie et du Rwanda. À mes yeux, les trois rapports produits à ces occasions par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, Benjamin Stora, Vincent Duclert et son équipe constituent de précieux documents. C’est aux sociétés civiles française et africaines de s’en saisir afin de tracer de nouveaux chemins d’avenir. Mais nous avons autant besoin de la pression des sociétés civiles que d’alliés à l’intérieur de la technostructure qui sachent traduire en politiques publiques effectives ce qui, autrement, demeurerait un simple vœu pieux. Dans le cas du Cameroun, l’espoir est que le devoir de vérité sera enfin honoré et que, sur cette base, il sera possible de remettre la mémoire au service d’un futur partagé.On connait votre relation avec Emmanuel Macron. Entretenez-vous des liens avec des chefs d’État africains ?Il m’est arrivé de discuter avec certains d’entre eux, et ils ne sont pas nombreux. Mais j’entretiens aussi des conversations avec d’autres figures publiques ou privées, des diplomates, des footballeurs professionnels, des artistes, des musiciens et, de temps à autre, des hommes extrêmement aisés et cultivés, qui ont lu ce que j’ai écrit et qui désirent en savoir davantage. Je siège dans les conseils d’administration d’un certain nombre de fondations, en Afrique du Sud et à l’étranger. Je participe donc constamment à des flux d’idées qui se renouvellent sans cesse et m’obligent à rester en permanence en éveil.Trouvez-vous encore le temps d’écrire ?Deux ouvrages paraîtront début 2023. Le premier, Les Liens à venir, sortira chez Actes Sud, et le deuxième, La Communauté terrestre, aux éditions La Découverte.