Cameroon

Quand le ministre du Travail s’égare dans la joute politique

Au lieu de se concentrer sur les défis sociaux et économiques qui minent le monde du travail au Cameroun, le ministre Grégoire Owona semble davantage préoccupé par les activités de l’opposition. Un choix de posture qui interroge, à l’heure où les attentes des travailleurs restent criantes. Par un dimanche ordinaire, sur sa page Facebook, Grégoire Owona, ministre camerounais du Travail et de la Sécurité sociale, a livré une tribune à la tonalité particulièrement virulente. L’objet de sa colère : le meeting de l’opposant Maurice Kamto, tenu le 31 mai dernier à Paris sur la place de la République. Plutôt que de se prononcer sur les enjeux du monde professionnel qu’il est censé défendre, le ministre a préféré décocher une série de piques personnelles à l’encontre d’un potentiel candidat à la présidentielle.

Dans un style empreint d’ironie, Owona s’est attaqué au nombre de participants (qu’il juge « minable ») , aux propositions du professeur Kamto, et même à la pertinence de sa promesse de protection pour le président Paul Biya et sa famille. Le ton, peu diplomatique, surprend. D’autant qu’il intervient dans un contexte social tendu où les attentes vis-à-vis de son ministère sont nombreuses, urgentes et concrètes.

Le silence du ministre sur ses véritables missions

Grégoire Owona est membre du gouvernement depuis plus de deux décennies. À ce poste stratégique, il est censé incarner une politique du travail cohérente, innovante, et tournée vers l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Pourtant, au lendemain des célébrations du 1er mai 2025, nombreux sont les observateurs qui pointent son absence sur les sujets de fond.

Ce jour-là, les syndicats ont battu le pavé dans plusieurs villes du pays, parfois dans l’indifférence de l’exécutif. Seul le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle (distinct du ministère du Travail ) a communiqué des chiffres optimistes : 12 875 PME créées en 2024, générant environ 34 000 emplois directs. Des annonces certes encourageantes, mais insuffisantes pour masquer les fragilités du tissu professionnel camerounais.

Derrière les bilans gouvernementaux, la réalité sociale demeure rude. Le chômage touche de plein fouet les diplômés de l’enseignement supérieur : 14,8 % chez les 25-35 ans, selon les dernières données de l’Institut national de la statistique. Un taux cinq fois plus élevé que chez les jeunes non-scolarisés – paradoxe d’un système éducatif déconnecté du marché du travail.

À cela s’ajoute une structure économique où près de 90 % des emplois sont informels, hors de tout cadre réglementaire. Dans un tel paysage, les jeunes peinent à s’insérer durablement, et les filets de sécurité sont quasi inexistants. Pendant ce temps, les réformes structurelles promises pour moderniser l’enseignement supérieur et adapter les formations aux besoins concrets des entreprises peinent à émerger.

La revalorisation du SMIG dans le secteur industriel, entrée en vigueur au 1er janvier 2024, reste l’un des rares acquis tangibles. Passé de 39 911 à 60 000 FCFA pour la catégorie de base, le salaire minimum représente un progrès – mais pour une minorité. La majorité des travailleurs, notamment dans le secteur informel, reste en marge de cette réforme.

Le dialogue social, lui, continue d’être timide. Les négociations tripartites entre État, patronat et syndicats sont sporadiques, souvent réduites à des effets d’annonce. À l’heure où les crises économiques successives fragilisent les plus vulnérables, cette verticalité du dialogue renforce un sentiment de déconnexion entre les décideurs politiques et les réalités de terrain.

Un ministre hors sujet face aux urgences nationales

Face à ces enjeux, l’attitude du ministre du Travail interroge. Plutôt que de proposer des pistes concrètes pour formaliser les emplois, repenser la formation, ou soutenir les jeunes entrepreneurs, Grégoire Owona choisit l’arène politique comme tribune. Une posture qui contraste avec l’urgence des attentes exprimées par les travailleurs et les syndicats.

Le rôle d’un ministre du Travail n’est pas d’animer les débats partisans, encore moins de commenter les rassemblements de l’opposition. C’est d’incarner une vision, de structurer des réformes, et de donner un sens à la politique de l’emploi que le président Paul Biya affirme vouloir porter. En s’écartant de cette ligne, M. Owona donne l’impression de délaisser son ministère, au profit d’une joute politique qui n’apporte aucune réponse concrète aux Camerounais.

Un pays debout, oui, mais pour qui ?

« Le Cameroun est debout et en marche », écrivait le ministre dans sa tribune. Encore faut-il que cette marche n’oublie personne en chemin. Et que les responsables publics se consacrent aux missions pour lesquelles ils sont nommés. À l’heure où l’économie mondiale se transforme, où la jeunesse camerounaise cherche sa place, et où les travailleurs demandent de la dignité, le ministère du Travail doit redevenir un acteur central. Pas un simple relais de communication politique.

Gilles Noubissi

Recent Posts

Présidentielle 2025 : le Groupe de Douala se désolidarise du Pr Abaa Oyono après son soutien à Maurice Kamto

Le processus de désignation d’un candidat unique de l’opposition en vue de la présidentielle camerounaise…

4 hours ago

213,000 Candidates Begin Writing GCE Tomorrow as Registration Sees 8.7% Rise

By Njong Shey The written phase of the Cameroon General Certificate of Education (GCE) begins…

5 hours ago

Three Dead After Two Gun Attacks in Bamenda

The past weekend was once again bloody in Bamenda, headquarters of the North West Region,…

10 hours ago

Nigerian Military Arrest Gun Man, Recover Ammunition on Cameroonian Border

By Bachirou Elhadji BDO As insecurity continues to mount along the tri-border area between Nigeria,…

11 hours ago

PPRD Officials Enumerate Strides in Rebuilding Anglophone Regions

The coordinators of the Presidential Plan for Reconstruction and Development of the North West and…

16 hours ago

Calixthe Beyala s’attaque aux critiques du meeting de Maurice Kamto à Paris

Alors que le meeting du leader de l'opposition camerounaise Maurice Kamto, tenu le 31 mai…

1 day ago